Page:Jacob - Souvenirs d’un révolté.djvu/78

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est là chose assez facile dans ces petites prisons de sous-préfectures et j’aurais certainement réussi si je n’avais eu affaire qu’au gardien-chef, ce Napoléon de la bêtise ; mais le procureur et le juge d’instruction s’en mêlèrent et mon projet tomba à vau-l’eau.

— Escande Joseph, né à Sète, le…, etc., lui répondis-je en lui détaillant mon pseudo-état civil.

— Vous êtes inculpé de meurtre, tentative de meurtre et vol qualifié, reprit-il lorsque le greffier eut écrit ma réponse. Qu’avez-vous à répondre ? Ajouta-t-il en marchant toujours.

— Que j’ai soif.

— Vous ne répondez pas à la question.

— C’est possible ; mais un verre de lait ou un bol de bouillon ferait bien mieux mon affaire que toutes vos questions.

— Signez-vous ? Reprit-il après avoir dicté mot à mot ma précédente réponse au greffier.

— Non.

— C’est bien.

Et presque aussitôt, je sortis accompagné de tout ce monde.

— Les chasseurs sont-ils prêts ? Demanda le capitaine de gendarmerie.

— Oui, monsieur. On attend plus que vos ordres.

— Bien. Disposez-les pour le départ.

Quelques minutes après nous entendîmes les chevaux caracoler sur le pavé, à l’extérieur de la gare, et la foule crier et jurer contre leur intervention. Il y avait vingt-quatre chasseurs à cheval formant le carré, c’est à dire six sur chaque coté. Le capitaine de gendarmerie, flamberge au vent, marchait en tête, accompagné de plusieurs sous-officiers de cavalerie. Moi, Pélissard et toute la bande de larbins que j’ai nommé tantôt, prîmes place au milieu du carré afin d’être protégés contre l’intervention malveillante de la population. Ce fut à ce moment que les alambics donnèrent le plus de vocifération. Ah ! Mes enfants ! Quel vacarme ! Quel tohu-bohu ! Sur tous les tons et dans tous les timbres depuis la voix aiguë et grêle des enfants jusqu’à la note rauque et grave des hommes en passant par le son flûté des femmes, les « À mort ! À l’eau ! À la guillotine ! » ne ralentirent plus un instant de la gare jusqu’à la prison. Il fallait voir cette scène ! C’était pire que la réception de Mirbeau et Pressuré à Toulouse, où j’ai reçu une fameuse tripotée entre parenthèses. Tous ces cris, ces hurlements étaient accompagnés de gestes, de menaces, de branlements de bras : on aurait dit que tous ces corps subissaient une