Page:Jacobus X - L'amour aux Colonies, 1893.djvu/91

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ropéen célibataire, car au début, peu de gens amenèrent leur famille dans la Colonie. Par suite, il n’existait aucune de ces réunions qui rendent la vie civilisée à peu près supportable. Je n’appelle pas une réunion agréable, l’obligation où chacun se trouvait de faire de temps en temps apparition aux soirées officielles du Gouvernement, véritable supplice pour l’officier ou le fonctionnaire obligé d’endosser la tunique à épaulettes ou le fameux habit noir. J’ai vu, au premier bal officiel auquel j’ai assisté en 186., l’élément féminin représenté par quatre dames, formant un unique quadrille, et deux cents officiers et fonctionnaires faisant cercle autour. Il n’y avait à Saïgon de distractions nocturnes que pour les amateurs du cercle, du baccara et de l’écarté. Les mélomanes en étaient réduits au théâtre Chinois, le seul à l’époque, car le théâtre Français ne date que de vingt ans après la conquête, et l’on avouera que c’était bien maigre. Il y avait encore la ressource du baquan pour les joueurs endurcis. Les amateurs du beau sexe étaient les plus disgraciés, car l’élément féminin brillait par son absence. On citait deux ou trois dames mariées dont la conduite prêtait fort à la critique, mais en fait de dames du demi-monde, et même du demi-quart de monde, rien, absolument rien.

Les deux premières hétaïres Européennes. — Si mes souvenirs sont fidèles, les deux premières hétaïres Européennes vinrent à Saïgon en 1866 ou 1867. C’étaient deux Moldo-Valaques voisines de la quarantaine, ayant roulé de lupanar en lupanar, d’Alexandrie jusqu’à Saïgon. Embauchées comme dames de comptoir dans une mauvaise brasserie, elles provoquèrent presque une émeute chez la gent masculine, et le soir de leur arrivée, tout le Saïgon célibataire se trouva réuni dans cet établissement où d’habitude on ne voyait pas quatre clients Européens. Un mauvais plaisant eut l’idée saugrenue de mettre ces