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LE ROI DE ROME

ment douter de l’étoile de Bonaparte ? Tout ce qu’il désire, tout ce qu’il calcule arrive. Et Savary traduit avec lourdeur mais avec clarté le soulagement de ceux qui pensaient à l’avenir : « La fortune qui nous avait été si constamment fidèle semblait nous combler en nous donnant un héritier d’un pouvoir que tant d’efforts avaient élevé et qui, faute de cet enfant, ne nous laissait apercevoir de tous côtés que des abîmes. On espérait de bonne foi une paix profonde, on n’admettait plus parmi les idées raisonnables aucune guerre ni occupations de cette espèce. » La Révolution, qui s’était réfugiée dans le principe héréditaire, se réjouissait de voir la descendance de l’homme à qui le droit d’hérédité avait été donné comme un bouclier. Et c’étaient « des milliers de serments, dont pas un n’a été à l’épreuve du malheur ».

Frapper les imaginations, c’est l’art où Napoléon excelle toujours. Le berceau du roi de Rome, il l’a entouré de magnificence, mais le destin a rivalisé avec lui. Rien, pour la rendre parfaite, ne manquera à cette histoire, le père expirant sur son rocher, le fils, dans sa prison princière, mourant comme un autre Marcellus. De cet enfant, on a fait d’abord l’idole de la monarchie. Au sein de sa nourrice il est Majesté. Roi au maillot, on lui doit des révérences, un culte presque asiatique, auquel l’ancienne royauté n’avait jamais pensé pour les dauphins. La solennité des bulletins de santé du nourrisson répond à l’emphase du père annonçant au Sénat qu’un héritier est né au trône : « Les grandes destinées de mon fils s’accompliront. » Près de l’enfant qui aurait dû être Napoléon II, quels rêves l’empereur a‑t‑il faits ?

C’est la même énigme. Croyait-il léguer à son fils l’Empire d’Occident, tel qu’il était en ce printemps de 1811, c’est‑à‑dire un monstre, un État difforme, cent trente départements, depuis celui du Tibre jusqu’à celui des Bouches-de-l’Elbe, auxquels