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NAPOLÉON

s’ajoutait la masse des États vassaux ? Cet Empire, dont Napoléon lui‑même a peine à tenir les morceaux rassemblés, il n’a pas d’avenir. Il a été constitué par une idée directrice qui était une idée de circonstance. C’est une carte de guerre. Royaume non de lisières, comme disait jadis du sien un roi de Prusse, mais de rivages, tout en côtes, en ports, en embouchures, une configuration ordonnée par les besoins du blocus continental. Réunissant encore le Valais, le département du Simplon, passage vers l’Italie, comme le Directoire avait annexé Genève à la République, l’empereur annonçait en outre un canal qui, avant cinq ans, « réunirait la Baltique à la Seine », et après avoir dit que les Anglais, eux, avaient « déchiré le droit public de l’Europe », il ajoutait cette phrase étrange : « La nature est changée. » A-t-il cru vraiment qu’on pouvait gouverner, régner contre la nature, la changer et la contraindre durablement ? A-t-il cru surtout qu’après lui ce défi pourrait être soutenu ? Lui‑même reconnaît que l’Empire est trop grand, trop distendu lorsqu’il écrit à son ministre de la Guerre : « Les ordres ne s’exécutent pas parce qu’on les donne indistinctement à des hommes qui sont au fond de l’Italie et à d’autres qui sont au fond de l’Allemagne. L’Empire est devenu tellement grand qu’il faut mettre tout autre soin pour réussir. » Quelle apparence y avait‑il que, le nouveau Charlemagne disparu, son héritier réussirait ?

On hésite à prêter des plans d’un lointain avenir à l’homme dont les aides de camp disaient, écho de ce qu’il disait lui‑même et ce qui a été vrai de son règne tout entier : « Est-ce que l’empereur sait ce qu’il fera demain ? Cela dépendra des circonstances. » En effet, tout est mouvant et quand une lézarde est bouchée au Nord, il en apparaît une au Midi. Au moment même où le roi « de Rome » venait de naître, on avait à se demander dans quels rapports il vivrait avec son voisin le roi de Naples.