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LITTÉRATURE DRAMATIQUE.

son bon ange, son bon conseil, madame de Chateauroux. Ainsi couvert de gloire et de bonheur, il était encore un des mieux faisant à la bataille de Fontenoy ; à la tête de la maison du Roi il se précipita tête baissée dans cette colonne formidable de soldats anglais qui déjà criaient : Victoire !

Quand madame de Pompadour régna à Versailles, M. le duc de Richelieu, assidu courtisan de la faveur, échappa avec un esprit infini à l’alliance que lui proposait la favorite qui voulait marier mademoiselle d’Étiolés au duc de Fronsac. Et la prise de Port-Mahon que j’allais oublier, et Gènes, délivrée et pacifiée, et l’armée du duc de Cumberland repoussée jusqu’à l’embouchure de l’Èbre ! ce sont là d’assez belles pages historiques. Pour ce qui est de cette vie de plaisirs et d’intrigues d’amour, nous ne vonlons pas la défendre plus qu’il ne faudrait ; mais enfin, rappelez-vous donc, avant de jeter sur cet homme l’indignation de votre vertu, qu’il vivait sous madame de Pompadour, sous madame Dubarry, sous le roi Louis XV, dans une époque perdue de mœurs ; qu’il était un gentilhomme, un diplomate, un inconstant, un maréchal de France, quatre titres excellents pour être le très-bienvenu des femmes. Et la preuve, c’est qu’après la mort de Louis XV, et quand ils eurent essuyé l’un et l’autre cette terrible Philippique du cardinal de Ceauvais, véritable lapidation dont les pierres avaient rejailli jusque dans les jardins de Versailles, le maréchal rentra dans une vie plus modeste. Il se maria pour la troisième fois ; il accepta la présidence du tribunal du point d’honneur en 1781 ; en un mot, il fit si bien, que le roi Louis XVI, cet honnête homme à qui on peut se fier quand il s’agit de vertu et de moralité, venant à penser à tous les travaux de ce vieillard, à ses combats, à la bataille de Fontenoy, à la prise de Mahon, à tant d’esprit dépensé à la cour, à l’amitié que lui portait le feu roi, à la protection dont l’avait honoré Louis XIV son parrain, se prit à l’aimer à son tour peut-être malgré lui, et à lui pardonner les folies de sa vie, en faveur de sa gloire. Richelieu cependant, heureux de rentrer à cette cour dont il avait été l’ornement, avait repris son service. Il ne sentait pas venir la vieillesse, et il disait : Quand la goutte me prend à un pied, je me tiens sur l’autre !

Ce devait être curieux à entendre ce vieux jeune homme s’entretenant avec M. le comte de Maurepas, — un vieillard-enfant qui