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HISTOIRE SOCIALISTE

Par 568 voix contre 346 et 40 voix nulles elle vota, en cette grande journée du 2 novembre, la plus décisive à coup sûr de la Révolution, la motion de Mirabeau :

« L’Assemblée décrète :

« 1o Que tous les biens ecclésiastiques sont à la disposition de la Nation, a la charge de pourvoir d’une manière convenable aux frais du culte, à l’entretien de ses ministres et au soulagement des pauvres, sous la surveillance et d’après les instructions des provinces.

« 2o Que dans les dispositions à faire pour subvenir à l’entretien des ministres de la religion, il ne pourra être assuré à la dotation d’aucune cure moins de 1200 livres par année, non compris le logement et les jardins en dépendant. »

Mais à quoi eût servi à la Révolution cette expropriation hardie, si elle n’eût pu réaliser pour ainsi dire immédiatement la valeur des biens d’Église ? Le déficit s’agrandissait tous les jours ; même les premières mesures révolutionnaires, le rachat des dîmes inféodées, l’abolition avec rachat des offices de judicatures accroissaient la dette exigible ; les besoins étaient immédiats : il fallait que les ressources fussent immédiates.

Or, d’une part, la vente des biens d’Église ne pouvait être que lente ; en la précipitant et jetant tout à la fois sur le marché cette énorme quantité de domaines, de bâtiments, de corps de ferme, on aurait, pour ainsi dire, noyé la demande sous l’offre, et avili le prix de cette marchandise ainsi prodiguée. Et d’autre part, avec quelle monnaie les acheteurs auraient-ils pu payer ? C’est à plusieurs milliards que s’élevait la valeur des biens d’Église, et tout le numéraire de la France, ne dépassait guère à cette époque, selon les calculs d’hommes comme Lavoisier, deux milliards.

La vente rapide des biens d’Église aurait donc absorbé une grande partie du numéraire déjà trop rare ; et bien que l’État l’eût presque aussitôt fait refluer vers ses créanciers de tout ordre, il y aurait eu cependant au moins pour une certaine période, concentration du numéraire sur une opération unique et colossale : une crise économique inouïe ; un arrêt presque complet de la circulation des produits aurait pu suivre cette brusque absorption du numéraire insuffisant ; de plus cette raréfaction extraordinaire de l’or et de l’argent en aurait tellement accru la valeur que le prix des terres aurait baissé en conséquence et qu’ainsi l’opération de vente aurait été désastreuse.

Il fallait donc absolument créer un numéraire nouveau, ou pour parler plus exactement, un équivalent du numéraire. Il fallait une monnaie révolutionnaire pour une opération révolutionnaire. Comment procéda la Constituante ?

Elle ne se trouva pas d’emblée en face de tout le problème : au lendemain du vote de la mémorable motion sur les biens d’Église, quand l’Assemblée, en décembre 1789, dut tout à la fois pourvoir aux besoins urgents du