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HISTOIRE SOCIALISTE

reçus en payement dans les caisses publiques et particulières, et qu’à partir de cette époque, elle serait tenue d’effectuer ses paiements à bureau ouvert.

Mais il ne suffisait pas de prolonger par décret le cours forcé des billets pour donner du crédit à la Caisse. Et l’État, au moment même où il décrétait le cours forcé et où il obligeait la Caisse à lui faire jusqu’au 1er juillet une nouvelle avance de 80 millions de billets devait donner à ceux-ci un gage qui en soutînt réellement la valeur. Déjà, pour une avance antérieure, la Caisse avait reçu de l’État un assignat sur le produit de la contribution patriotique ; elle avait été constituée créancière privilégiée des recettes éventuelles du Trésor. Cette fois il fallait, un gage autre et plus solide.

L’Assemblée décréta donc qu’elle remettrait à la Caisse d’Escompte 170 millions d’assignats sur la future vente des biens nationaux, c’est-à-dire qu’au fur et à mesure que les biens ecclésiastiques seraient vendus, le produit des ventes serait affecté jusqu’à concurrence de 170 millions à rembourser la Caisse d’Escompte. Ou plutôt celle-ci pouvait se rembourser elle-même, attendu que les assignats ainsi créés étaient admis de préférence dans les ventes de biens nationaux ; remettre 170 millions d’assignats, c’était remettre en réalité 170 millions de biens d’Église.

Ces assignats n’étaient point à proprement parler une monnaie : ils ne devaient point avoir cours entre particuliers : ils étaient simplement la reconnaissance d’une dette de l’État et une assignation donnée aux créanciers sur ce gage précis : les biens d’Église. En attendant la réalisation de ce gage et le remboursement de la créance, les assignats ainsi remis aux créanciers de l’État portaient intérêt à 5 pour cent.

Ainsi, dans la première opération de l’Assemblée, l’assignat n’est pas encore une monnaie : il est une obligation de l’État gagée sur le domaine de l’Église, et il est créé surtout pour donner crédit au billet de la Caisse d’Escompte ; le billet de la Caisse d’Escompte masque encore l’assignat, et l’Assemblée, dans cette première création d’assignats, peut se persuader à elle-même qu’elle ne fait que continuer en les cautionnant les pratiques connues et qu’elle se borne à utiliser le crédit du billet de la Caisse d’Escompte en fortifiant ce crédit par la remise d’assignats sur les biens d’Église.

Pourtant dès ce premier jour, l’assignat commence à se dégager du billet de la Caisse et à jouer un rôle distinct ; la pensée était venue à beaucoup de constituants que l’État avait bien tort de recourir au crédit de la Caisse d’Escompte, puisqu’après tout, c’est lui-même qui créait ce crédit par la remise d’assignats fortement gagés ; et qu’il valait bien mieux par conséquent user directement du crédit direct de l’assignat lui-même.

C’est ce que Pétion de Villeneuve fit remarquer dans de brèves et intelligentes observations, à la séance même du 19 décembre. « La Capitale est déjà engorgée de billets de la Caisse d’Escompte qui ne circulent pas dans les provinces ; elle va donc en fabriquer encore ; la Caisse sera chargée de cette fabri-