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HISTOIRE SOCIALISTE

et obsède tous les esprits : maintenant que la Révolution a affirmé ses principes essentiels, maintenant qu’elle commence à se heurter à la résistance de l’Église, que va faire le Roi ?

LA FUITE À VARENNES.

C’est l’attitude de l’Église qui commandera celle du Roi. Or, l’hostilité de l’Église catholique ne tarde pas à éclater. Déjà, chez beaucoup d’évêques et de prêtres, l’exaspération était grande depuis les lois qui mettaient en vente les biens d’Église. Il leur paraissait qu’en perdant son domaine foncier, son prestige de propriété, l’Église perdait les prises temporelles dont elle a besoin pour maintenir sa domination sur les esprits. Mais elle n’osait pas engager directement la lutte sur cette question. Il lui était trop malaisé de persuader au peuple des campagnes, si ignorant ou si fanatique qu’il pût être, que la foi était intéressée à ce que des abbés fainéants, des moines avides détiennent une large part du sol de la France.

Mais à peine la Constituante eût-elle promulgué la constitution civile, que prêtres et évêques saisirent avidement ce prétexte de déclarer que la religion était compromise. Et ils s’appliquèrent à agiter les consciences, soumises depuis des siècles à l’empire du dogme.

Or, il est plus facile d’arracher à l’Église ses titres de propriété foncière que d’arracher des âmes les terreurs et les espérances surnaturelles qu’elle y a longuement enracinées. L’Église le savait et c’est là qu’elle porta son effort, espérant ensuite, par ce détour, retrouver sa propriété.

Peu de jours même avant le vote de la loi, et sous prétexte de mettre les fidèles en garde, l’évêque de Toulon avait, le 1er juillet 1790, engagé la bataille et attaqué l’ensemble de la Révolution :

« Qu’est-ce donc s’écriait-il, que cette régénération qui vous a été solennellement promise ? Au lieu du bonheur dont vous deviez jouir, je ne vois partout que désordre, confusion et anarchie. »

L’évêque de Vienne, Lefranc de Pompignan, un curé de la Flandre maritime se prononcent violemment contre la loi, et l’Assemblée commence à s’émouvoir.

Le 30 octobre la bataille prit soudain de grandes proportions. Les évêques de l’Assemblée déposèrent sur le bureau une Exposition des principes sur la Constitution civile du Clergé. C’était une critique sévère de presque tous les articles. Les évêques protestaient contre la prétention de la puissance civile de toucher à l’organisation de l’Église sans consulter les représentants de l’Église et sans s’inquiéter de leur acquiescement. Et ils disaient « Nous avons proposé la constitution d’un Concile national. Nous avons réclamé, suivant les formes antiques de l’Église gallicane, le recours au chef de l’Église universelle (au pape). »