Page:Jaurès - Histoire socialiste, II.djvu/164

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des Feuillants, royaliste et pacifique, ou celle des Girondins, révolutionnaire et belliqueuse.

« Cependant les patriotes, qui reçoivent chaque jour des avertissements et que mille apparences inquiètent et effraient, se demandent sans cesse : Mais le roi ne nous trahit-il pas ? L’étranger n’a-t-il pas résolu la guerre ?

« Les constituants et les modérés, réunis dans le club des Feuillants (doctrinaires et juste-milieu d’alors), voulant concentrer tout le pouvoir dans la bourgeoisie, redoutant le peuple proprement dit, croient ou feignent de croire à la sincérité de Louis XVI, ou du moins se flattent que la douceur et les concessions vaincront enfin ses répugnance pour la Révolution ; ils prétendent que les rois craignent la France bien plus qu’elle ne doit les craindre elle-même ; que c’est pour mieux surtout que la paix est un besoin impérieux ; que leurs menaces ne sont que des fanfaronnades ; que leurs préparatifs sont purement défensifs ; qu’il faut éviter toutes les mesures qui pourraient les inquiéter ; et qu’on évitera la guerre si la Révolution est sage. Leur devise est légalité, constitution, confiance, modération et paix.

« Louis XVI choisit ses ministres parmi eux, mais il conspire avec ceux qui veulent se rendre ses complices et trompe les autres ; il leur cache ses correspondances particulières, les résolutions hostiles des étrangers, leurs préparatifs d’attaque et même leur marche vers nos frontières.

« D’un autre côté, il invoque sans cesse une constitution qui lui donne assez de pouvoir pour qu’il puisse trouver moyen de la renverser…

« Les autres, en beaucoup plus grand nombre, parmi lesquels se trouvent les fameux Girondins, le duc d’Orléans et son fils, réunis dans le club des Jacobins, sont convaincus que Louis XVI ne se résignera jamais à la diminution de son ancienne autorité ; qu’il conspire contre la Constitution ; qu’il s’entend avec l’émigration et avec l’étranger ; que l’intérêt des rois est d’étouffer la Révolution ; qu’ils veulent non seulement rétablir le pouvoir absolu, mais surtout démembrer le royaume ; que leurs préparatifs sont hostiles ; que la guerre est inévitable ; que le danger est imminent et pressant ; enfin, que le salut public exige qu’on se prépare à la guerre, et qu’on fasse expliquer catégoriquement les gouvernements étrangers sur leurs intentions et leurs projets. »

Ce tableau tracé par Cabet serait admirable en sa brièveté si, à propos de la question de la guerre, il n’y avait, quelques traits inexacts et brouillés, et aussi une singulière lacune. Ce ne sont pas les modérés tout d’abord, ce ne sont pas les Feuillants qui ont voulu persuader au pays que les souverains étrangers veulent la paix, et ont peur de la France. C’est la Gironde, c’est Brissot. Et c’est Brissot aussi qui combat la « défiance ».

Il n’est pas vrai non plus que les modérés se soient tous et systématiquement opposés à la guerre, à toute guerre. Sous l’inspiration de Nar-