Page:Jaurès - Histoire socialiste, II.djvu/165

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bonne, de madame de Staël et même de quelques-uns des anciens constituants, ils ont voulu tenter l’aventure.

Enfin, Cabet oublie complètement et semble même ignorer l’immense effort de Robespierre, du journal de Prudhomme, d’une très notable partie des Jacobins pour ne se livrer ni à la Cour ni à la Gironde, ni au modérantisme ni à la guerre, et pour diriger vers la démocratie et la paix le torrent des forces révolutionnaires.

Dans la tradition révolutionnaire, dans l’image un peu déformée que se transmettent les générations, la guerre et la Révolution sont liées. Et c’est, si je puis dire, cette superposition d’image qui, plus d’une fois, permit aux républicains et aux bonapartistes de marcher d’accord contre les menaces et les retours offensifs de l’ancien régime.

Chose curieuse. L’ardent robespierriste Laponneraye, qui connaissait à fond la vie de Robespierre, dont il a édité les œuvres, dans les leçons populaires qu’il faisait, en 1831, sur l’histoire de la Révolution, n’a pas même signalé les grands efforts de Robespierre pour maintenir la paix. Il signale pourtant, avec une clairvoyance aiguisée par la haine, la duplicité des Girondins dans la préparation de la guerre. « Il ne manquait plus au triomphe des Girondins que de compromettre le roi avec l’Europe, et de le mettre dans la nécessité de faire la guerre aux despotes conjurés pour le rétablir dans ses anciennes prérogatives : ils l’entreprirent et le succès couronna leurs efforts… Cependant il était encore possible au ministère de Louis XVI (en avril) de prévenir les hostilités sans déshonneur ; il aima mieux les entreprendre…

« Le gant est jeté, la lice est ouverte, les partis vont se précipiter l’un contre l’autre. Une lutte sanglante va s’engager pour vingt-cinq ans ; pendant un quart de siècle l’Europe roulera contre la France, la France roulera contre l’Europe, débordera sur l’Europe, et ce duel d’un peuple contre vingt peuples, d’une nation contre un monde entier, se terminera par une invasion honteuse que l’un des plus grands capitaines de l’époque aura value à notre malheureuse patrie.

« D’abord défensive, la guerre deviendra offensive, car il n’est pas dans notre caractère d’attendre l’ennemi derrière des retranchements ; c’est au pas de charge et la bayonnette en avant que les Français se battent. Juste, légitime et toute de propagande, tant qu’elle soutiendra les intérêts de la Révolution, cette guerre, quelques années plus tard, deviendra inique, conquérante, spoliatrice, quand un soldat ennemi de la liberté s’en sera emparé pour la faire servir à ses projets ambitieux. »

Voilà comment, en 1831, un robespierriste exalté, qui adorait son héros comme un saint, résumait le grand drame de révolution et de guerre dont nous cherchons en ce moment les origines. Il n’est point dupe de la manœuvre girondine, et il ne croit pas que la guerre fût inévitable ; mais comme cette indication est discrète et timide ! comme il néglige, de peur