Page:Jaurès - Histoire socialiste, II.djvu/201

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Et lorsque, à la date du 15 février, le roi fit parvenir à Dumouriez alors maréchal de camp de la douzième division en Vendée, sa nomination de lieutenant-général et l’appela à l’armée du Nord, il ne fut pas fâché sans doute de hausser d’un degré un homme à combinaisons et qui pouvait être utile.

Dans les quelques mois qu’il venait de passer en Vendée, pour apaiser les troubles, pour protéger les patriotes, Dumouriez avait révélé aux observateurs attentifs tout son caractère. Il avait, malgré ses cinquante-cinq ans, une activité d’esprit et de corps, un ressort de jeunesse admirables, je ne sais quelle aisance allègre qui semble ôter de leur poids à tous les fardeaux, une netteté de pensée supérieure, et un égoïsme lumineux et vif qu’aucun préjugé n’obscurcissait, qu’aucune conviction forte n’embarrassait. Il n’était lié à l’ancien régime qui l’avait méconnu, par aucun lien de reconnaissance, et il n’était lié à la Cour par aucun sentiment de pitié ou de chevalerie. Mais il ne désirait point la disparition de la royauté, et j’imagine qu’il préférait un état compliqué et incertain, mêlé de tradition royale et de démocratie, d’intrigue de cour et d’intrigue de club, parce qu’il se croyait plus en état que d’autres d’évoluer, de se pousser dans ces complications.

La pure démocratie et la pure monarchie lui paraissaient, en simplifiant à l’excès le problème, multiplier, aux dépens des habiles, le nombre des hommes capables de le résoudre. Pas plus qu’il n’avait de respectueuse pitié pour le roi et la reine, il n’avait pour la Révolution une déférence fanatique et profonde ; ce qu’il aimait en elle c’était seulement la force neuve, la force jeune qui donnait l’essor de toute part aux énergies inemployées. Mercier du Rocher, dans les mémoires inédits auxquels Chassin a fait de si intéressants emprunts, raconte une conversation de Dumouriez en septembre 1791, en Vendée, qui le peint à merveille :

« Dumouriez nous emmena souper chez lui, maison de Denfer, située dans la prairie… ; le repas fut frugal, la conversation animée. Le général, très madré, très roué, nous raconta ses aventures de l’ancien régime, nous parla de sa captivité à la Bastille, et nous promit de tenir tous les malveillants dans le devoir. Il ajouta que, tandis qu’on applaudissait sa conduite aux Jacobins de Paris, on le traitait d’aristocrate au club de Nantes, parce qu’il avait fait mettre en liberté des gentilshommes qu’on avait enfermés dans le château de cette ville, et que ces sortes de violences ne lui plaisaient point quoi qu’il fût ennemi juré des contre-révolutionnaires.

« Il nous parla de la Révolution, du Roi, de l’Assemblée nationale avec la légèreté d’un militaire français ; il nous dit qu’elle n’était plus qu’une vieille putain qu’il fallait se hâter d’éconduire. Cette expression était juste sous bien des rapports. Il nous parla de ses amis, il nous parla de son beau-frère (le marquis d’Auvant de Perry) qui avait épousé sa sœur. »

« Il avait aussi un autre beau-frère comte : c’était Rivarol, dont la sœur vivait avec lui. Elle était bien dans sa maison, mais comme elle était jeune et