Page:Jaurès - Histoire socialiste, II.djvu/25

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force publique, et elle met ainsi la propriété féodale, menacée par les paysans, sous la protection de la bourgeoisie des villes.

Après ce document, il restait peu de chose des décrets du 4 août. Au moment où parut ce manifeste conservateur de l’Assemblée, les élections pour la Législative étaient commencées en plusieurs points. Il semble destiné, non seulement à prévenir les troubles que ramenait l’époque des moissons, mais à agir sur les électeurs. Et nous ne pouvons douter qu’il ait fait, dans les assemblées électorales, l’objet des plus vifs commentaires. Les paysans ne se laissèrent ni convaincre, ni effrayer. Les protestations continuèrent, tantôt légales, tantôt violentes. Le 7 août 1791, le directeur du département de Seine-et-Marne écrit :

« Les troubles reprennent au sujet de la perception du champart. Il y a des troubles graves dans la paroisse d’Ichey, canton de Beaumont ; elle a repoussé, par la force, tout acte tendant à la perception du champart. »

Le 15 décembre 1791, quelques semaines après la réunion de la Législative, les citoyens actifs de la commune de Lourmaria (Bouches-du-Rhône) écrivent à l’Assemblée :

« Depuis vingt-un mois que la loi sur le régime féodal est rendue, pas un seul redevable des droits odieux qui y sont attachés ne s’est racheté, et, par un mouvement prophétique, nous osons vous assurer que si l’Assemblée nationale ne nous permet de racheter les droits fixes, tels que tasques, champarts, séparément des droits casuels ou de lods, les peuples, soumis à cet affreux régime seront encore morts à la liberté dans mille ans d’ici.

« L’Assemblée constituante n’eut que l’intention de délivrer les campagnes de ce monstre ; mais les moyens lui manquèrent, parce qu’elle avait dans son sein des nobles, des gens d’affaires qui lui firent une égide par leurs intrigues et leur silence et que les membres, qui voulaient sincèrement le détruire, ne connurent pas l’endroit par lequel il fallait le combattre. Ils n’indiquèrent qu’un plan général d’attaque, il fut adopté comme suffisant, et le monstre invulnérable dans tous les points, excepté un seul, est demeuré vainqueur des traits impuissants lancés contre lui.

« Presque tout le corps constituant fut composé d’hommes pris dans les villes, qui ne sont sujettes qu’à de minces directes, et les campagnes, déchirées par les tasques, champarts, agriers, lods, cens, seigneurs, agents, fermiers, gardes, furent oubliées ; personne ne parla pour elles.

« Eh bien ! législateurs, c’est cette cohorte, toute-puissante encore, qui retient les campagnards dans les fers. Ce sont ces ci-devant seigneurs, leurs agents et fermiers actuels qui, se coalisant avec les prêtres insermentés et les fanatiques de tous rangs, tuent le zèle révolutionnaire des cultivateurs, simples et ignorants, en leur faisant craindre ou prévoir le retour de l’ancien ordre de choses et, avec lui, les vengeances des ci-devant sur ceux qui se seront montrés pour la chose publique.