Page:Jaurès - Histoire socialiste, II.djvu/26

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« Mais, nous l’annonçons avec une douce joie : La destruction du régime féodal sera le coup de mort pour les aristocrates. C’est dans l’espoir de le rétablir qu’ils émigrent, conspirent et s’agitent en tous sens. Vous sentirez, plus que jamais, que liberté et féodalité ne peuvent pas aller ensemble, que la moitié de l’Empire, gémissant sous cet affreux régime, et cette portion étant la plus précieuse puisqu’elle nourrit l’autre, la Révolution ne serait que partiellement chérie et la Constitution qu’à demi-stable si vous ne facilitiez, plus qu’on ne l’a fait jusqu’à présent, le rachat des droits féodaux… »

La tactique de ceux qui veulent l’abolition complète de la féodalité se dessine. Ils disent à la Législative, que l’action contre-révolutionnaire des nobles et des prêtres réfractaires sera décisive dans les campagnes, si les paysans ne sont rattachés à la Révolution par la disparition immédiate du régime féodal.

Les paysans profitent habilement des embarras et des périls de la bourgeoisie révolutionnaire pour lui imposer, malgré ses répugnances, la destruction de toute la féodalité. À vrai dire, ils ne paraissent demander encore que des facilités plus grandes pour le rachat, mais le ton est, si je puis dire, plus haut que les paroles : et c’est l’abolition entière qu’au fond ils désirent et qu’ils commencent à espérer.

Le 4 janvier 1792, le district de Châteaubriand (Loire-Inférieure) adresse, à l’Assemblée législative, une pétition couverte de signatures, et, cette fois, c’est contre le rachat même que les cultivateurs s’élèvent :

« Faudra-t-il donc qu’un malheureux vassal vende une partie du petit héritage de ses pères ; pour soustraire l’autre à l’esclavage et à l’oppression ? Mais à qui pourra-t-il vendre cette portion de son patrimoine ? Aux soi-disant seigneurs, à ces anciens tyrans : eux seuls, par le remboursement des droits féodaux, vont être dépositaires de tout le numéraire de la France et en concentrer toutes les richesses.

« Par là, ils vont tripler leur orgueilleuse opulence, par là, ils vont étendre leurs possessions, et se rendre maîtres de toutes les propriétés ; par là, enfin, ils vont aggraver le joug de l’ancienne servitude, qui fit autrefois gémir nos pères et dont nous rougissons encore aujourd’hui. Tel est, Messieurs, le cri général, dont retentissent les campagnes et les villes du district de Châteaubriand, dont retentit la France entière. »

Voilà enfin que le point décisif est touché : et, cette fois encore, c’est de la Bretagne que part l’audacieuse parole de salut. La commune de la Capelle-Biron (Lot-et-Garonne) écrit, le 20 mars 1792, à la Législative :

« La rente et autres droits féodaux, conservés et déclarés rachetables, par le décret du 15 mars 1790, sanctionné le 28, seraient bien propres à provoquer la guerre civile, si l’Assemblée nationale ne prenait pas, dans sa sagesse, des mesures de modification tant sur le fonds de la rente que sur le mode du rachat décrété par l’Assemblée constituante.