Page:Jaurès - Histoire socialiste, II.djvu/280

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Amsterdam, à Genève, à Hambourg, il fallait échanger 150 livres d’assignats contre 100 livres en valeurs étrangères. Ou bien, à prendre les choses par l’autre bout, les étrangers, avec 100 livres de leurs valeurs à eux, se procuraient en France 150 livres en assignats.

D’où vient cette extraordinaire baisse des changes étrangers, une des plus fortes que puisse subir un pays ? D’habitude, cette baisse du change révèle, dans le pays au détriment duquel elle se produit, un état inquiétant de langueur ou de crise. Lorsque la production y est très faible, lorsque ce pays est obligé d’acheter à l’étranger beaucoup plus qu’il ne peut lui vendre, il ne peut payer avec des produits nationaux ses produits étrangers ; il est donc obligé d’acheter des valeurs étrangères pour payer ces produits étrangers, et, par suite, il est obligé de payer cher ces valeurs étrangères.

De là rupture d’équilibre entre les valeurs du pays qui vend peu et achète beaucoup et les valeurs de l’autre pays qui vend plus qu’il n’achète.

Ou encore lorsqu’un pays, manquant de capitaux, ne peut développer ses entreprises intérieures qu’au moyen de capitaux étrangers, il est obligé, pour le service des intérêts, de faire de nombreux paiements à l’étranger. De là aussi, pour lui, baisse du change.

Ou encore, quand les affaires d’un pays sont mal conduites, quand ses finances sont obérées, quand ses entreprises industrielles sont incertaines et téméraires, quand une catastrophe financière ou commerciale peut atteindre le crédit de toutes les valeurs nationales, il est naturel que l’étranger n’achète qu’à bas prix ces valeurs tremblantes, et qu’il ne les reçoive en paiement qu’en leur faisant subir une déduction qui couvre ses risques. De toute façon, la baisse persistante des changes étrangers est un indice de malaise, de croissante anémie et de déséquilibre.

Et si nous appliquions cette règle à la Révolution, il faudrait conclure que l’état économique de la France, en 1792, était singulièrement inquiétant. Mais précisément, il n’est pas possible d’appliquer à un pays en révolution une règle qui ne convient qu’aux périodes normales.

À coup sûr, plusieurs causes réellement déprimantes agissaient, à cette date, sur le cours des changes. D’abord, l’énorme déficit de la récolte, en 1789, avait déterminé une grande exportation de notre numéraire à l’étranger. En second lieu, les médiocres rentrées budgétaires de 1790 et de 1791 pouvaient inspirer des doutes sur la solidité de nos finances. En troisième lieu, comme l’ancien régime avait contracté beaucoup d’emprunts à l’étranger, à Genève, à Hambourg, à Amsterdam, à Londres, auprès de tous les pays protestants riches de capitaux, les brusques remboursements auxquels procédait la Révolution faisaient affluer aux mains de l’étranger les valeurs de France, et celles-ci en étaient dépréciées.

Mais c’est surtout une raison morale qui explique cette baisse des changes étrangers. L’étranger n’avait pas dans le succès de la Révolution