Page:Jaurès - Histoire socialiste, II.djvu/281

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française la même foi que la France elle-même. Sans entrer dans les passions des émigrés, il en accueillait les propos dénigrants, les prophéties sinistres ; et, tandis que la France se sentait préservée du péril par la force même de sa croyance, le doute était grand à l’étranger ; or, le doute c’était le discrédit.

Mais ici ce discrédit résulte plutôt d’une fausse vue des autres puissances que d’une diminution de vitalité de la France elle-même. Or, dans ces conditions, la baisse du change ne produisait point des effets défavorables ; elle agissait même heureusement sur la production. Les étrangers aimaient mieux recevoir en paiement des marchandises que du papier déprécié, et ils faisaient d’importantes commandes à nos manufactures. Ou encore, comme ils se procuraient à bon compte des assignats, et que ces assignats, dépréciés par rapport à la monnaie, n’avaient pas perdu leur puissance d’achat par rapport aux denrées, ils avaient intérêt à acheter, avec les assignats, beaucoup de marchandises ; et ainsi notre exportation montait rapidement, et aussi notre production. Enfin, comme nos industriels et commerçants ne pouvaient acheter des marchandises étrangères qu’en payant pour le change une forte prime, ils restreignaient les commandes au dehors, et la production nationale se trouvait protégée d’autant.

Ce sont là des avantages secondaires et momentanés qui résultent de la baisse du change, pour les pays dont le crédit est atteint ; par un effet singulier et paradoxal, ce discrédit de leur monnaie et de leurs valeurs agit comme une prime à l’exportation, comme une barrière à l’importation. Mais la France révolutionnaire avait cette chance tout à fait exceptionnelle de combiner ces avantages indirects de la baisse du change avec l’activité merveilleuse d’un pays en plein essor. C’est surtout une différence de température morale entre la France et le reste du monde qui déterminait contre la France la baisse du change. Elle avait donc à la fois la force d’un pays ardent, exubérant de vie, et les moyens factices de développement qui, pour les pays en décadence, résultent un moment de leur décadence même.

Nombreux sont les hommes de la Révolution qui comprirent que cette baisse des changes ne dénotait pas un affaiblissement de la France, ou qui même en firent valoir les avantages.

Le 13 décembre 1791, Delaunay (d’Angers) flétrit les manœuvres d’agiotage qui, suivant lui, créaient ou aggravait la baisse du change et il constate, par là même, qu’elle ne dérive pas d’une diminution de la vie économique de la nation.

« Je le dis avec douleur, s’écrie-t-il, il n’y a pas encore assez d’esprit public pour les finances, parce que le peuple n’est point financier. C’est pour cela que tout a été agiotage, brigandage, ténèbres. Nous sommes sans répression morale. Chez les Anglais, si leurs banquiers, leurs agents de change étaient assez peu citoyens pour faire ou favoriser des opérations notoirement calamiteuses, dans quelque temps heureux que ce fût et à