Page:Jaurès - Histoire socialiste, II.djvu/429

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

lutte décisive contre la royauté, lutte à outrance contre l’étranger. Il attendait peu des théories parfois abstraites de Robespierre et des combinaisons politiciennes de la Gironde, beaucoup de la force spontanée du peuple qui se manifestait presque chaque jour par des adresses véhémentes à la Législative, par des délégations impérieuses.

C’est sur la force révolutionnaire des sections qu’il comptait avant tout dès cette époque : c’est cette force qu’il voulait animer tout ensemble et organiser, c’est elle qu’il voulait, si je puis dire, porter toute vive au gouvernement pour sauver la liberté et la patrie. Par là, aussi, il espérait sauver l’ordre, qui résulterait précisément de l’appel confiant fait par la Révolution aux énergies du peuple.

Mais l’action ministérielle de la Gironde, si incertaine qu’elle fût, n’était point sans utilité. Elle servit du moins à poser les problèmes, à préciser le conflit de la Révolution et de la royauté. Les manœuvres contre-révolutionnaires des prêtres insermentés devenaient intolérables. Ils fomentaient partout des soulèvements, et les pénalités décrétées par la Législative sur le rapport de François de Neufchâteau restaient inefficaces.

L’Assemblée, après avoir prohibé le port du costume ecclésiastique et obligé ainsi les prêtres à se confondre par l’habit avec les citoyens, aborda enfin les grandes lois de répression. Sur la motion de Vergniaud, la peine de la déportation fut portée, le 27 mai, contre tous les prêtres réfractaires qui refuseraient le serment et provoqueraient des troubles. La Révolution se sentait par eux menacée au cœur. Et pour comprendre sa colère, il suffit de lire les incroyables pamphlets dirigés contre elle par le clergé factieux, les appels publics qu’il faisait à l’étranger.

Avec une sorte de candeur effrayante, des prêtres démontraient que le devoir de l’Empereur d’Autriche était d’intervenir dans les affaires de France. « C’est la France, disaient-ils, qui, au temps de Charlemagne, a porté le christianisme aux peuples allemands : il y aurait ingratitude et impiété de la part des peuples allemands à ne pas rétablir en France le christianisme menacé. »

Des rassemblements de paysans fanatiques se formaient, et dans les bois, au son des instruments de musique qui, hier, faisaient danser la jeunesse du village, des bandes armées juraient haine éternelle à la Révolution. Ce n’était pas seulement le fanatisme qu’attisaient les prêtres : ils aiguisaient la cupidité. Ils invitaient les paysans à refuser les impôts substitués par la Révolution aux innombrables charges et redevances d’ancien régime et parfois ils n’hésitaient pas à prêcher en effet « la loi agraire », non pas pour préparer l’avènement social du travail et la libération définitive des paysans, mais dans l’espoir que sur les ruines de la propriété bourgeoise refleuriraient dîmes et prébendes et que de l’anarchie l’ancien régime renaîtrait. La Gironde, par la loi de déportation, frappa un grand coup ; mais qu’allait faire le Roi ? Com-