Page:Jaurès - Histoire socialiste, II.djvu/430

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ment, ayant repoussé les premières mesures assez anodines votées par la Législative, accorderait-il sa sanction à un décret plus redoutable ? Par cette voie la Gironde allait au conflit décisif.

Quelques jours après, le 5 juin, le ministre de la guerre Servan proposa à l’Assemblée la formation d’un camp de vingt mille hommes, recrutés parmi toutes les gardes nationales des départements. Ce camp, d’après le ministre, devait couvrir Paris contre toute surprise de l’ennemi : il devait en même temps fournir, pour le service d’ordre de la capitale, des forces armées et alléger ainsi un peu le fardeau sous lequel la garde nationale parisienne était accablée.

En réalité, la Gironde espérait que sous la double action combinée du ministère et de l’esprit révolutionnaire, les hommes ainsi rassemblés seraient bien à elle. Ils pouvaient, en effet, protéger Paris contre une pointe des ennemis ; mais ils pourraient aussi peser sur les décisions de la Cour. En même temps et par un jeu très compliqué, la Gironde enlevait à Paris son rôle d’avant-garde révolutionnaire. C’était toute la France révolutionnaire, ce n’était plus la seule commune de Paris, qui était chargée, au centre même des événements, de veiller sur la Révolution. Sans doute, il n’y avait pas encore entre la Gironde et Paris un conflit aigu, mais c’est à Paris surtout que s’exerçait l’influence de Robespierre et de Marat que les Girondins détestaient et poursuivaient.

C’est à Paris surtout qu’était grande l’action de Danton, dont ils se défiaient sans le combattre encore. Ils pressentaient bien que si leur politique extérieure et intérieure aboutissait à une rupture violente avec la royauté et si Paris menait l’assaut, c’est Paris qui aurait la primauté politique et qui la communiquerait aux hommes en qui surtout il avait confiance.

Ils voulaient donc organiser, au service de la Révolution, une force d’origine mêlée et surtout provinciale, sur laquelle eux-mêmes auraient la haute main. Au-dessus de ces calculs, Servan avait d’ailleurs une grande pensée : il avait toujours été partisan de la nation armée : or, ni les circonstances, ni l’état des esprits ne se prêtaient encore à la levée en masse. Mais la constitution d’une petite armée révolutionnaire, prise par délégation et élection dans toutes les gardes nationales, n’était-ce pas un premier ébranlement de toute la nation ?

Le projet de Servan fut combattu par les ennemis révolutionnaires de la Gironde, par Marat, par Robespierre, aussi violemment que par les amis de la Cour. Dans son numéro du vendredi 15 juin 1792, Marat le dénonça comme « le coup de mort porté à la liberté et à la sûreté publique par l’Assemblée nationale, complice des machinations de la Cour et contre-révolutionnaire elle-même… Comment songer à mettre les armes à la main d’un peuple qu’on veut décimer, s’il le faut, pour le remettre sous le joug ?