Page:Jaurès - Histoire socialiste, II.djvu/435

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« M. Robespierre a entièrement levé le masque. Digne émule des meneurs autrichiens du Comité de l’Assemblée nationale, il a déclamé à la tribune des Jacobins, avec sa virulence ordinaire, contre le décret qui ordonne la levée des vingt mille hommes qui doivent se rendre à Paris pour le 14 juillet. Ainsi, pendant que les partisans du système des deux Chambres s’efforcent de soulever contre l’Assemblée les riches capitalistes et les grands propriétaires, M. Robespierre emploie les restes de sa popularité à aigrir contre elle cette partie précieuse du peuple, qui a tant fait pour la Révolution ; ainsi, pendant que la faction autrichienne s’apprête à tout mettre en œuvre pour engager le roi à frapper de son veto le sage décret du Corps législatif, le défenseur de la Constitution met tout en œuvre pour préparer l’opinion publique à ce veto, le plus fatal qui aurait été lancé jusqu’ici. »

Ainsi s’échangeaient les coupes de fiel. À ce moment l’instinct révolutionnaire du pays était avec la Gironde : car elle donnait au moins l’illusion de l’action.

Beaucoup de pétitionnaires, dont l’état-major feuillant de la garde nationale avait surpris la signature, la retirèrent. Et une seule question demeura : Que va faire le roi ? Il avait consenti, en mai, au licenciement de sa garde, devenue suspecte de contre-révolution. Allait-il consentir aux décrets contre les prêtres, et à la formation d’un camp révolutionnaire sous Paris ?

Il aurait voulu sans doute éluder, traîner en longueur. Depuis qu’il avait des ministres déterminés dans le sens de la Révolution, l’exercice du veto lui devenait très difficile : il ne pouvait résister qu’en affrontant une crise tous les jours plus redoutable. Quand Mallet du Pan écrivait : « Le dernier changement de ministère fait nécessairement tomber l’exercice du veto impératif, en entourant le trône des agents de la faction qui dicte les décrets », il saisissait à merveille le sens et l’efficacité révolutionnaires de l’avènement ministériel de la Gironde, que Robespierre, en sa politique étonnamment inerte et expectante, affectait de ne point voir.

Engagés comme ils l’étaient, et portés par le mouvement de la Révolution, les ministres girondins ne pouvaient, sans se perdre, permettre que le roi se dérobât : c’est Roland qui se chargea de la mise en demeure, en une lettre au roi qui est restée célèbre. On a dit qu’elle était un grand acte de courage ; et je sais bien qu’à cette date (10 juin), le prestige de la royauté, qui n’avait pas subi encore l’épreuve du 20 juin, pouvait encore paraître grand.

Mais, malgré tout, le roi était déjà très diminué, enveloppé de forces hostiles, et le pis que risquait Roland était d’être renvoyé, et de tomber du ministère en une popularité immense. L’austérité un peu vaniteuse des Roland y trouvait son compte. Leur vrai mérite est d’avoir précipité les événements par une sorte de sommation au pouvoir royal.