Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/103

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donc que Mailhe votât le premier, et c’est sans doute pourquoi les secrétaires, après avoir donné d’abord la parole au Gard dans les deux premiers scrutins, passèrent pour le troisième à la Haute-Garonne. Mais comment Mailhe formula-t-il sa motion ? Déclara-t-il que son vote pour la mort était subordonné au sursis ? ou bien que les deux questions étaient indépendantes ? D’après les Archives parlementaires, qui ont collationné leur texte sur la minute même du procès-verbal de la Convention, Mailhe aurait dit :

« Par une conséquence naturelle de l’opinion que j’ai déjà émise sur la première question, je vote pour la mort de Louis. Je ferai une seule observation. Si la mort a la majorité, je pense qu’il serait digne de la Convention nationale d’examiner s’il ne serait pas politique et utile de presser ou de retarder le moment de l’exécution. Cette proposition est indépendante de mon vote. Je reviens à la première question et je vote pour la mort. »

Or, il est absolument impossible que Mailhe ait prononcé à ce moment, la phrase soulignée, et si elle figure en effet à la minute des procès-verbaux, ce ne peut être que l’effet d’une surcharge complaisante et d’un remaniement ultérieur. Il suffit, pour être sûr que Mailhe n’a pas prononcé cette phrase, de se reporter à l’incident qui se produisit, dans la même séance, entre Garrau, Cambon et Mailhe lui-même. C’est pendant qu’on dépouillait le scrutin. Le résultat du vote pouvait être complètement renversé selon que le vote de mort, rendu par Mailhe et plusieurs autres députés avec motion de sursis, était conditionnel ou absolu. Garrau interrogea Mailhe :

« Avant que le résultat de l’appel soit proclamé, je demande qu’on définisse d’une manière bien précise la nature et le terme des suffrages ; des membres viennent de demander à Mailhe si son vœu contenait une réserve, ou s’il avait donné un suffrage pur et simple ; il a répondu qu’il n’y avait mis aucune restriction. Je demande que Mailhe explique lui-même son vœu qui paraît avoir été suivi de plusieurs membres de cette assemblée, et dont il est important de connaître la nature. »

Évidemment, si Mailhe avait dit en formulant sa motion relative au sursis : « Cette proposition est indépendante de mon vote », il n’y aurait eu aucun doute. Au reste, Mailhe lui-même répond ceci : « Au point où en sont les choses, il ne m’est possible que de répéter le vœu que j’ai émis hier : je le répéterai donc sans en changer non pas un mot, mais une seule lettre. Je prie les citoyens, mes collègues, qui m’ont entendu d’attester si ce que je vais répéter est ce que j’ai prononcé hier. Voici sur mon honneur, ce que j’ai dit hier. » Et Mailhe reproduit littéralement le texte cité plus haut, moins la phrase soulignée.

Puis, il ajoute : « Je ne puis, ni ne veux donner aucune explication ». Je suis très tenté de croire qu’il avait laissé à dessein une forme ambiguë à son vote : il se réservait, selon le résultat de l’appel et l’état des esprits, de lui donner telle ou telle signification. C’est quand la majorité pour la mort