Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/116

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Le corps fut porté au cimetière de la Madeleine, et enseveli dans une couche de chaux vive, « entre ceux qui étaient morts le jour des fêtes du mariage de Louis et ceux qui avaient été tués le Dix-Août ». Un pieux et courageux royaliste de Sens l’avait demandé pour l’enfermer dans la tombe du Dauphin son père. La Convention voulait que les restes mêmes « du dernier des rois » se perdissent dans la banalité de la sépulture commune.

Tout ce jour, il y eut comme un malaise dans Paris. Ces déracinements profonds ne vont pas sans d’innombrables meurtrissures, et il y a toujours quelque fibre du passé qui souffre dans les cœurs même les mieux renouvelés. Bien des femmes pleurèrent ; et une partie de la bourgeoisie avait peur. Qui sait à quelles audaces se porterait un peuple qui venait d’abattre la tête d’un roi ? Mais toutes les forces révolutionnaires avaient un trop grand intérêt à ce que cette journée restât solennelle et calme pour qu’aucun mouvement fût à craindre ; et les forces contre-révolutionnaires n’étaient ni assez grandes, ni assez organisées, ni assez audacieuses pour chercher à convertir en révolte l’émoi involontaire des cœurs.

La vie commune, à peine ralentie dans les premières heures du jour, reprit presque aussitôt son cours ordinaire. « Comme de coutume, disent les Révolutions de Paris, la laitière est venue vendre son lait, les maraîchers ont apporté leurs légumes et s’en sont retournés avec leur gaîté ordinaire, chantant les couplets d’un roi guillotiné. Les riches magasins, les boutiques, les ateliers n’ont été qu’entr’ouverts toute la journée, comme jadis les jours de petite fête. La bourgeoisie commença un peu à se rassurer vers les midi, quand elle vit qu’il n’était question ni de meurtre ni de pillage. » Le peuple était comme soulagé du fardeau de sa propre haine et de sa propre vengeance. Il ne voulait pas que le roi vécût, et la Convention, en le frappant « du glaive de la loi », avait dispensé le peuple de tuer.

Les Révolutions de Paris ont noté cela avec profondeur.

« La chute d’une tête royale a semblé le décharger d’un lourd fardeau ; il était temps de l’en délivrer et de prévenir un supplément du 2 Septembre. »

Il était libéré d’une obsession sanglante. Mais malgré tout, il y a dans la conscience de la Révolution, ce jour-là, je ne sais quoi de tendu et d’un peu morne. Et la Convention elle-même, siégeant en ce jour du 21 janvier, semble chercher dans l’éclat un peu théâtral des fêtes funèbres qu’elle prépare pour Lepelletier, une sorte de diversion révolutionnaire. S’était-elle donc trompée en décidant la mort ?

La sentence était juste, non seulement du point de vue révolutionnaire, mais du point de vue de Louis XVI qui, en acceptant la Constitution où la souveraineté populaire était inscrite, avait reconnu le droit nouveau. Aussi, tandis que les tristes massacres de Septembre furent désavoués à un moment ou à un autre par tous leurs auteurs ou inspirateurs, c’est avec un orgueil inflexible que les plus illustres régicides assumèrent devant les peuples