Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/117

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et les siècles la responsabilité de leur verdict. Mais est-il vrai qu’en créant ainsi la légende, en surexcitant la pitié, les Conventionnels firent le jeu de la monarchie qu’ils voulaient abolir à jamais, et blessèrent la Révolution qu’ils voulaient sauver ? C’est l’opinion de Quinet comme de Louis Blanc, et quand Michelet dit que ces actes doivent être jugés « moins par leurs fruits que par la pensée courageuse qui les dicta », il avoue le doute qui se mêle en son esprit à son respect profond pour ces grands révolutionnaires qui ne donnèrent la mort avec sécurité que parce qu’ils étaient au-dessus d’elle.

En bien des points sans aucun doute, leur espérance fut déçue. Ils pouvaient croire que la solidarité de cette terrible sentence créerait au moins entre tous les régicides une fraternité indissoluble ; ils vont se déchirer les uns les autres, et, comme s’ils ne reconnaissaient pas le signe révolutionnaire dont les marqua tous au front le sang du roi, ils vont se calomnier et s’envoyer les uns les autres à l’échafaud où tous ensemble ils l’avaient porté.

Ils pouvaient croire aussi que, par la mort, ils créaient, entre la nation et la monarchie, de l’irrévocable, de l’irréparable ; que jamais la France et la royauté ne pourraient plus se regarder face à face ; des rois reviendront devant lesquels, au moins pour quelques jours, se prosterneront les foules.

Ils pouvaient croire que la mort, supplice suprême, donnerait la mesure du crime suprême commis par le roi, et que sa trahison apparaîtrait horrible, puisque l’échafaud seul en avait pu faire justice. Et voici que des cœurs se troublaient, et que les larmes silencieuses des femmes désavouaient la Révolution.

Il y a dans la mort une vertu puissante mais équivoque, une sorte de mysticité ambiguë qui exalte les forces contraires en des proportions que l’esprit de l’homme ne peut mesurer. Il y a des révolutionnaires qui donnaient à la mort de Louis je ne sais quel caractère sacrificiel et quel symbolisme auguste. Le journal de Prudhomme revêtait cette idée d’une forme un peu barbare : « La liberté ressemble à cette divinité des anciens, qu’on ne pouvait se rendre propice et favorable qu’en lui offrant en sacrifice la tête d’un grand coupable. Les Druides promettaient la victoire à nos ancêtres, partant pour une seconde campagne, quand ils rapportaient de la première une tête couronnée sur l’autel de l’Hercule gaulois. » Ainsi, par une contradiction inquiétante, la mort de Louis, signe d’un monde nouveau d’où seraient exclues la servitude et la douleur, semblait se rattacher dans le passé à la longue chaîne des superstitions sanglantes.

Fayau, le député de la Vendée, avait donné un sens plus noble à cette foi mystique en la vertu régénératrice de la mort :

« Il faut faire oublier le despote, il faut que nos neveux ignorent qu’il existe des rois ; il faut enfin que tout ce qui respire, meure et renaisse au moment où la tête du tyran tombera. C’est à vos soins qu’est confiée la génération d’un grand peuple. Oui, c’est par vous que le peuple français doit