Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/119

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Même la légende pieuse qui enveloppa la mémoire du roi « martyr » a été, en un sens profond, funeste à la monarchie française. Elle la haussa, si je puis dire, aux régions surnaturelles, mais elle la détacha de la réalité. Le roi, presque béatifié par une mort sainte, emporta aux cieux la royauté : « Je vais échanger, disait-il, une couronne mortelle pour une couronne immortelle. » Ce fut un échange à peu près définitif, et qui valut pour ses descendants comme pour lui. Maintenant, c’est surtout à « la couronne immortelle » qu’ils peuvent prétendre. Le testament de Louis XVI était un adieu à la terre et à l’histoire, pour toute sa race. Pas un moment il n’y parle en représentant de la royauté, en souverain vaincu par la Révolution, qui a ou des revanches à prendre sur elle ou des malentendus à dissiper avec elle. Pas un moment il ne se demande par quelle série de fautes ou d’erreurs ou de méprises il a été conduit à cette extrémité terrible. Pas un moment il n’interroge l’avenir de la France, pour savoir ce qu’elle attendrait de son fils et ce qu’elle aurait le droit d’en attendre. À quelles conditions se pouvait faire la réconciliation de la Révolution et de la monarchie ? Il n’y songe pas, il semble que n’ayant pu résoudre le problème pour lui-même, il évite même de le poser pour son fils. Contre les hésitations d’une volonté obstinée tout ensemble et débile, il ne trouve de refuge que dans la certitude de la mort.

C’est bien, au fond, une pensée d’absolutisme qu’il lègue à son fils, et « le bon maître » est resté son idéal. Mais il lui lègue cet idéal comme un fardeau dont il semble souhaiter que l’accablement soit désormais épargné à sa race.

« Je recommande à mon fils, s’il avait le malheur de devenir roi, de songer qu’il se doit tout entier au bonheur de ses concitoyens, qu’il doit oublier toute haine et tout ressentiment, et nommément tout ce qui a rapport aux malheurs et aux chagrins que j’éprouve ; qu’il ne peut faire le bonheur du peuple qu’en régnant suivant les lois ; mais en même temps qu’un roi ne peut les faire respecter et faire le bien qui est dans son cœur qu’autant qu’il a l’autorité nécessaire, et qu’autrement, étant lié dans ses opérations et n’inspirant point de respect, il est plus nuisible qu’utile. »

À ces regrets du pouvoir absolu d’autrefois (car des lois qui ne lient pas les opérations du roi ne sont pas des lois), se mêlent, comme on l’a vu, des pensées de détachement absolu. Il recommande encore à ses enfants de ne « regarder les grandeurs de ce monde, s’ils sont condamnés à les éprouver, que comme des biens dangereux et périssables ».

Décidément la monarchie française est finie. Entre la fange de Louis XV et le renoncement dévot et débile de Louis XVI elle n’a pas su trouver le large chemin de la vie moderne et de la démocratie. Louis XVI affirme surtout sa fidélité à l’Église, il s’accuse d’avoir sanctionné la Constitution civile du clergé. Et tout son testament est un acte de foi envers cette Église qui l’a perdu, un acte de pénitence pour le concours forcé qu’il a prêté contre elle à la Révolution. Mais quoi ! si, dans le testament même du roi, la monarchie