Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/120

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n’est presque rien et l’Église tout, c’est donc que la seule force historique du passé qui soit capable encore de résistance et de vie, c’est l’Église ; la royauté est bien morte, et ce testament, plus religieux que politique, et plus dévot que royal, est comme une croix sur la fosse de la monarchie.

La mort de Louis XVI fournit aux puissances européennes le prétexte qu’elles attendaient. Dès le 24 janvier, le ministère anglais ordonne au représentant de la France, Chauvelin, de quitter l’Angleterre. En Espagne, le roi remplace un ministre ami de la France, Aranda, par Godoy, amant de la Reine et soutien de la contre-révolution. En Italie, la reine de Naples, Caroline, sœur de Marie-Antoinette, décide le roi à entrer dans la coalition. La Convention répondit avec vigueur à ce soulèvement de l’Europe. Dès le 1er février, sur un rapport de Brissot, elle déclare la guerre à l’Angleterre et à la Hollande, où un parti démocratique remuant appelait les armes françaises. Le 7 mars, sur un rapport de Barère, elle déclare la guerre à l’Espagne. Sa tactique était de paraître partout prendre l’offensive. Ainsi, au commencement de 1793, c’est contre une coalition de l’Autriche, de la Prusse, de l’Angleterre, de l’Espagne, de la Hollande, du Piémont, de l’État napolitain, que la France a à lutter ; coalition formidable, où le gros des peuples abusés secondera les efforts contre-révolutionnaires des gouvernements.

C’est la guerre qui devient dès maintenant la fonction suprême de la Révolution. La nation toute entière se hausse au suprême danger, et de même que le conventionnel David, grand et large peintre, n’a qu’à transporter en des sujets révolutionnaires l’héroïsme antique dont avant 1789 palpite son œuvre, de même tout le peuple de France semble s’élever en quelques jours aux plus hauts sommets de l’histoire, et retrouver le magnifique courage de la Grèce et de Rome en un combat bien plus vaste encore. La Convention, suivant un mot de Barère, dans ses Mémoires, est comme un canon énorme, dominant et foudroyant tout l’horizon. Mais de même que pour le service d’une pièce d’artillerie il faut une entente parfaite, une vigoureuse unité d’action, de même, au service de cette guerre colossale pour la liberté, il faudra que toutes les forces révolutionnaires se concentrent ; les partis hésitants ou critiques à l’excès, disputeurs et vains, disparaîtront, écrasés par les hommes de résolution et de combat. Dès maintenant, on peut dire : ou la Gironde renoncera à ses récriminations, à ses réserves, à ses hésitations et ses prétentions, ou elle périra.

Par une destinée étrange, elle semblait présider encore aux événements qu’elle aurait voulu empêcher. C’est Vergniaud qui, comme président, proclama d’une voix émue la sentence de mort contre le roi. C’est Brissot qui accepta de proposer à la Convention, comme rapporteur du Comité diplomatique, la guerre contre l’Angleterre, que plus qu’aucun représentant il aurait voulu empêcher. La Gironde assumait ainsi, par besoin d’agitation et d’éclat, je dirai presque par goût du théâtre, des responsabilités décoratives qui se