Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/183

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trines dont l’abbé Jacques Roux avait imprégné la section des Gravilliers. L’action de Jacques Roux était bien plus pénétrante et profonde que celle de Varlet. Ce prêtre, âgé de quarante ans, venu à Paris après une vie assez trouble et incertaine, semblait cheminer obscurément vers un grand but d’ambition, et le problème économique, négligé, semblait-il, par les partis aux prises, lui avait paru un formidable levier. Il n’avait pas de journal à cette date, et il ne paraît pas qu’il parlât souvent aux tribunes des clubs. Il allait aux Cordeliers et à la section de l’Observatoire, mais c’est surtout une propagande de quartier qu’il poursuivait dans cette section populaire des Gravilliers où abondaient les ouvriers et les artisans, les petits industriels. Il s’était dit, sans doute, que lorsqu’il aurait pénétré cette section lentement, obscurément, de son influence et de sa pensée, il aurait, au cœur même de Paris, une force décisive. Il faisait partie de la municipalité parisienne provisoire comme délégué de la section des Gravilliers. Lorsque, le 30 décembre, les délégués des sections de Paris allèrent presser la Convention de voter la mort du roi, c’est un orateur des Gravilliers qui prononça le poignant discours que j’ai cité et il est difficile de n’y pas reconnaître, sinon la main, au moins l’inspiration de Jacques Roux. Celui-ci fut délégué le 21 janvier par la Commune de Paris pour assister à l’exécution de Louis XVI : il se vanta de lui avoir dit un mot atroce et, dans son rapport sur l’exécution, il s’ingénia à faire valoir comme un titre de noblesse civique sa dureté.

Le journal les Révolutions de Paris dit à ce sujet : « En général la Commune ne s’est point fait honneur pendant tout le temps de la surveillance des prisonniers du Temple, elle n’a pas su concilier ce qu’elle devait à l’humanité et à l’infortune avec les précautions qu’exigeait le dépôt qu’elle avait en garde. Jusqu’au dernier moment, elle a donné lieu au dévotieux Capet de se regarder comme un martyr prédestiné et de se faire un mérite des mauvais procédés qu’on n’a cessé d’avoir pour lui dans tous les détails domestiques de sa détention, jusqu’à l’instant de son supplice, comme nous le verrons plus loin dans le rapport de Jacques Roux et de Claude Bernard, tous deux prêtres, c’est-à-dire sans entrailles… Lorsque Jacques Roux alla avec son collègue chercher le roi au Temple pour le mener à la mort, Capet ayant voulu lui remettre son testament, Jacques Roux le refusa en disant : Je ne suis chargé que de vous conduire à l’échafaud. À quoi Louis répondit : C’est juste. »

Et le journal ajoute que le prêtre « qui, dans sa mission auprès du ci-devant roi, lui parla plutôt en bourreau aide des hautes œuvres qu’en magistrat du peuple souverain », raconte avec complaisance que des citoyens trempèrent leur mouchoir dans le sang du roi. On dirait qu’il a vu, dans la mort de Louis XVI, comme une revanche de longues souffrances obscures et l’assouvissement de passions cruelles. De cette estrade où avait roulé la tête du roi Jacques Roux descendit avec une sorte de prestige sanglant : il colportait de