Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/203

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En cette journée du 25 février, Jacques Roux était bien loin d’être un vaincu. Car, malgré le bruyant anathème de la plupart des forces révolutionnaires avancées, son idée avait réalisé soudain de grands progrès. Elle était dès lors inscrite à l’ordre du jour de la Révolution. De toute part, la pensée de régler les échanges par la loi et de faire équilibre, dans la Révolution et par elle, à la puissance économique de la richesse, s’affirmait. Je ne vois guère que le journal de Condorcet, la Chronique de Paris, qui continue à opposer nettement à toute cette agitation la thèse absolue de la liberté commerciale. Il dit qu’il n’y a aucun moyen factice pour empêcher la hausse des prix :

« Le savon se fabrique en grande partie à Marseille : il y entre de l’huile que l’on achète en Italie, et de la soude que l’on achète en Espagne. Les denrées que nous achetons aux étrangers nous reviennent fort cher à cause de la perte du change et de la perte de l’assignat contre l’or et l’argent. À mesure que nous payons ainsi toujours plus cher l’huile et la soude, il est inévitable que le savon n’augmente de prix.

« Maintenant, si vous avez fantaisie de demander qu’on le taxe et si la Convention a la faiblesse d’y consentir, il arrivera que le marchand n’osera plus en faire venir, et qu’au lieu de le payer cher vous n’en aurez plus du tout. »

Le remède lui paraît être dans une élévation correspondante et proportionnée de tous les prix, des prix des travaux comme des prix des matières :

« Voulez-vous m’en croire, citoyenne ? Ne demandez pas que l’on taxe le savon, mais augmentez le prix de votre blanchissage. Demandez-moi un sol, deux sols de plus par chemise, je serai bien obligé d’en passer par là, car j’ai autant besoin que ma chemise soit lavée que vous pouvez avoir besoin de la laver. Moi, de mon côté, qui paye plus cher le blanchissage et bien d’autres choses, je me ferai payer plus cher le prix de ma journée. L’entrepreneur qui me paye et qui bâtit pour un marchand plumassier de la rue Saint-Denis se fera payer plus cher le bâtiment. Le marchand plumassier vendra un peu plus cher ses plumes aux femmes et aux soldats, et son duvet au tapissier. Le tapissier qui fournit un hôtel garni vendra plus cher les lits de plume. Le maître de l’hôtel garni fera payer un peu plus cher ses appartements au marchand de Rouen qui vient vendre des mouchoirs à Paris. Le marchand de Rouen vendra ses mouchoirs dix sols, vingt sols de plus, et ainsi de l’un à l’autre, tout le monde augmentera son prix et tout le monde vivra. Car il est bien agréable que les denrées soient à bon marché, mais il est encore plus nécessaire que tout le monde vive et que tout le monde travaille. Ce n’est pas quand les choses sont chères que l’on souffre, mais c’est quand il n’y en a pas à acheter ; car quand elles sont chères, on hausse le prix de la journée, mais quand il n’y en a point, l’on meurt… Et ne pensez pas que les gens plus riches que nous ne soient pas obligés d’augmenter le prix de nos journées,