Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/218

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

dans cette ville de Lyon habituée aux opérations de banque et de commandite les plus hardies, et où des fonds considérables rendus disponibles par le ralentissement de l’industrie locale de la soie, devaient chercher dans toutes les branches de l’industrie et du négoce des emplois nouveaux.

Lacombe Saint-Michel, Salicetti et Delcher écrivent en effet de Lyon (20 février) :

« Nous sommes arrivés à Lyon, et dans presque tous les départements que nous avons parcourus nous avons remarqué le peuple mécontent et affaissé sous le poids du besoin. Il paye presque partout le pain six sols la livre. Tous les objets de première nécessité augmentent journellement à vue d’œil, et cet accroissement peut venir à tel point qu’il cause à lui seul une révolution. Ce n’est pas le manque de denrées qui cause la cherté, c’est un système d’accaparement fait par tous les gens riches et auquel, par une fatalité immorale, tous les citoyens qui ont un peu d’argent coopèrent directement ou indirectement. »

Et l’on comprend que si, sous l’ancien régime, les ouvriers, les artisans qui travaillaient pour le compte des grands marchands lyonnais demandaient à être protégés par un tarif des salaires, à plus forte raison demandèrent-ils sous la Révolution que ce tarif des salaires obtenu en 1789 fût mis en harmonie avec le prix des subsistances. Les ouvriers en soie, disent-ils dans une pétition signée de 4 000 noms le 28 janvier 1793 « ont été persuadés qu’une liberté indéfinie était nuisible, que la liberté devait avoir des bornes, que la liberté ne devait pas permettre à une partie de la société d’égorger l’autre, en lui disant : tu ne mangeras qu’une telle quantité de pain. Ils ont observé que le traité de gré à gré et de prix débattu ne peut et ne doit avoir lieu qu’entre égaux ; et l’ouvrier travaillant à façon pour le compte d’autrui, étant sous la coulpe et dépendance du marchand qui le fait fabriquer pour son compte, ne peut être libre à traiter de gré à gré ; en conséquence, le tarif devient d’une nécessité absolue. Le tarif obtenu en 1789 a mis un frein à tant de maux, et maintenant les denrées sont montées à un prix auquel il ne peut plus suffire. » Ils demandaient en conséquence qu’un nouveau tarif fût homologué par la municipalité et par les délégués de la fabrique, et que ce tarif fût renouvelé tous les ans en décembre. À ce vœu d’autres joignaient la demande d’un impôt progressif sur le capital (voir Charlety). C’est cet ensemble de revendications que servait Chalier en combattant contre le royalisme, le feuillantisme et le girondisme, suspect à ses yeux de faiblesse d’abord et bientôt de trahison. Quand, pour faire peur, pour répondre par une exhibition sinistre aux menaces sourdes de cette conspiration dont il était enveloppé, Chalier exposa la guillotine sur la place Bellecour d’abord, et ensuite sur la place des Terreaux, « ici, dit-il, c’est pour effrayer les aristocrates de la noblesse, et là, pour faire trembler ceux du commerce. » C’est, en un acte de fureur indivisible, le double combat politique et social. Lui et ses