Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/231

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De leur côté, et toujours par tactique, les Enragés se jetaient à fond, eux aussi, dans la lutte contre la Gironde. Ils n’avaient pas réussi d’emblée à entraîner la Convention et la Commune en proposant des revendications purement économiques. Ils allaient surexciter la crise politique, pousser les Montagnards aux suprêmes violences contre la Gironde. Ainsi, dans l’atmosphère surchauffée de passion révolutionnaire, les hardiesses sociales s’acclimateraient. Ah ! les Montagnards se détournent des questions économiques ! Ah ! Robespierre déclare dédaigneusement que le peuple ne doit pas « avoir pour but de chétives marchandises, et qu’il doit se lever non pour recueillir du sucre, mais pour terrasser les brigands. » Eh bien ! soit : on terrassera en effet les brigands mais c’est assez de paroles vagues et de gestes vains : ces brigands, c’est la Gironde ; ces brigands, c’est une partie de la Convention, il faut que les Girondins soient frappés, et comme ils sont le parti de la grande bourgeoisie, le parti des riches marchands, des spéculateurs et accapareurs, la victoire remportée sur eux sera une victoire sur l’accaparement. Voyez, dans l’adresse lue aux Jacobins le 4 mars, au nom des défenseurs de la République une et « indivisible », c’est-à-dire au nom d’une partie des éléments sur lesquels les Enragés avaient prise, voyez comment la lutte politique contre la Gironde est confondue avec la lutte économique contre l’agiotage, le monopole et la richesse.

« Depuis trois ans, le procès de la liberté contre la tyrannie est pendant au tribunal de la raison. L’Assemblée Constituante nous a trahis ; la Législative nous a vendus ; la faction liberticide de la Convention voulait nous livrer. Citoyens, réfléchissez-y : la Convention s’est emparée de tous les pouvoirs. La faction qui est dans son sein en dispose.

« L’insurrection est le plus saint des devoirs quand la patrie est opprimée. Les députés infidèles doivent non seulement être rappelés, mais leur tête doit tomber sous le glaive de la loi, quand il sera prouvé que, sous le prétexte de la liberté des opinions, ils ont trahi les intérêts de la nation. L’inviolabilité de Louis Capet et des mandataires du peuple a perdu la République ; les hommes de bien sont seuls inviolables… Roland calomnia Paris aux yeux de toute l’Europe, parce qu’il pensait qu’en détruisant Paris il viendrait à bout de détruire la liberté.

« Nous arrivâmes à Paris très heureusement. Ce fut notre réunion avec les Jacobins, avec les Cordeliers, avec tous les patriotes, qui déjoua les complots et fit tomber la tête du tyran…

« … L’aristocratie de la fortune veut s’élever sur les ruines de l’aristocratie nobiliaire ; en général, les gros marchands, les financiers sont accapareurs… Aucun des brigands couronnés n’oserait nous attaquer s’ils n’étaient pas assurés d’un parti dans la Convention… La Constitution que l’on veut nous donner (le projet de Condorcet et de la Gironde) est un enfant qu’il faut