Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/230

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

« ARTICLE PREMIER. — L’anarchie sera permanente en France.

« ART. 2. — Au peuple (leur peuple) appartient le domaine national de France.

« ART. 3. — Les propriétaires actuels sont délégués provisoirement dans leurs possessions.

« ART. 4. — Les fruits appartiennent à tous.

« ART. 5. — Le pouvoir municipal (monté à l’instar de Paris) sera la seule autorité en France. »

C’est l’appel à l’instinct conservateur de tous les possédants, des nouveaux comme des anciens. Mais la Gironde, par sa politique inconsistante et incohérente dans le procès du roi, s’était retiré à elle-même tout moyen d’utiliser même les événements qui lui semblaient le plus favorables. Ni elle n’avait donné, en sauvant le roi, un gage précis aux forces conservatrices, ni elle n’avait, par une vigoureuse offensive contre le roi, donné confiance au peuple révolutionnaire. Elle était comme perdue en un milieu terne et trouble, et elle était exposée aux commentaires les plus malveillants, aux contrecoups les plus inattendus. Ainsi, après les journées de pillage des 25 et 26 février, ce fut la tactique des Jacobins de redoubler de violence contre la Gironde. Ce sont les ennemis de la Révolution qui ont, selon la thèse jacobine, suscité ces mouvements et égaré le peuple. Mais comment l’auraient-ils osé, comment auraient-ils eu l’audace de se mêler au peuple, de l’endoctriner, d’insulter aux Jacobins et à la Commune ses meilleurs amis, s’ils n’y avaient été encouragés par la lâche et scélérate complaisance de la Gironde pour le roi traître et parjure ? Parce que, par la faute des Girondins, il avait été si difficile d’abattre le roi, ou, suivant le mot attribué à Chalier, de le « décoller », les royalistes pouvaient hardiment pousser leur pointe, et entraîner la Révolution dans des sentiers d’aventure. C’est donc la Gironde qui était responsable, au fond, des journées si inquiétantes du 25 et du 26 février.

Aussi bien, les Jacobins qui craignaient d’être débordés par le mouvement de Jacques Roux et des Enragés, et par l’agitation sociale, trouvaient commode de dériver toute la passion du peuple dans une action purement politique. Dénoncer les Girondins et les abattre, c’était gagner du temps : c’était écarter (du moins on l’espérait) le problème des subsistances qui semblait s’élargir peu à peu en un vaste problème social. C’était effacer, par la violence des attaques contre la Gironde, l’impression de modérantisme qu’on avait pu donner à une partie du peuple dans la lutte contre Jacques Roux et le mouvement des Gravilliers. Ainsi, les Jacobins redeviendraient ce qu’ils avaient toujours rêvé d’être, la force d’avant-garde en même temps que la force régulatrice. Ainsi, le père Duchesne ramènerait à la cuisine politique de ses fourneaux le peuple détourné peut-être par l’odeur de pain chaud, d’épices et d’arôme, qu’exhalaient les propos de Jacques Roux.