Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/294

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la plus malhabile au contraire, puisqu’elle coupait elle-même ses communications avec le pays.

Mais Choudieu aurait pu invoquer l’aveu du journal de Brissot. Il dit, dans le numéro du 14 mars :

« Nos Catilina nous laissent assez en repos depuis trois jours. Mais il est aisé de voir que ce calme n’est que l’intervalle d’une tempête à une autre. Cependant, en pilotes habiles, les républicains doivent profiter de ce calme pour se préparer à lutter contre l’orage. Il faut qu’ils se rallient partout, dans la Convention nationale, à la Commune, dans les sections, même dans les clubs. Dans la Convention nationale l’absence des têtes les plus effervescentes permet de délibérer avec plus de tranquillité, et par conséquent avec plus de vigueur. »

Ainsi la Gironde se croyait fortifiée par le départ des commissaires montagnards. Quel enfantillage ! Elle ne s’apercevait point qu’en leur abandonnant ces hautes et périlleuses missions, elle allait défaire en quelques jours l’œuvre de calomnie menée depuis des mois contre la Montagne par d’innombrables libelles. Ces hommes qu’elle avait représentés aux départements comme des monstres, allaient entrer, pour ainsi dire, au cœur du pays, qui les verrait à l’œuvre, qui les jugerait et bientôt les aimerait.

Mais ce qu’il y a de plus triste, c’est qu’à peine la Gironde eût-elle laissé aux Montagnards le redoutable privilège des missions, elle prit peur et s’appliqua à les calomnier. Des lettres furent envoyées, notamment par Salle, pour dénoncer à leur département les commissaires.

Ainsi, en cette crise prodigieuse de la liberté et de la nation, la Gironde ne se bornait point à ne pas agir : elle essayait de frapper toute action de discrédit et d’impuissance ; elle devenait ainsi un danger national, et c’est l’instinct de conservation de la nation révolutionnaire qui, dans quelques semaines, l’éliminera.

Si vraiment Sieyès était le conseiller occulte de la Gironde, il a usurpé sa renommée de penseur. Robespierre, pour caractériser son action souterraine et silencieuse, l’a appelé, au témoignage de Barère : « la taupe de la Révolution ». Et le mot serait plus vrai encore si la taupe était aveugle. Qu’était cet obscur cheminement d’intrigue minuscule dans la vaste convulsion qui secouait et soulevait le sol ?

Vergniaud aussi, dont l’éloquence était plus ample que la pensée, fit preuve d’une étrange médiocrité de sens politique lorsque, le 15 mars, dans un discours très éclatant et très préparé, il vint reprendre les événements du 9 et du 10 et dénoncer tout un plan d’insurrection. Oui, il y avait à Paris des groupements révolutionnaires qui voulaient attenter à l’intégrité de la Convention et frapper la Gironde. Mais à quoi servait-il de signaler un fait évident, éclatant ? Et à quoi servait-il aussi de demander qu’on instituât des poursuites ? La Convention avait bien donné au ministre Garat l’ordre de re-