Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/295

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chercher « le comité d’insurrection », et je crois bien que si Garat vint dire à la Convention qu’il n’avait rien vu ou presque rien, c’est qu’il avait fermé les yeux. Il assura qu’il n’avait découvert qu’une réunion un peu inquiétante : celle du café Corazza, où quelques Jacobins, à la sortie des séances du club, se rencontraient « pour boire de la bière ». Ou comprend que les Girondins, qui avaient été outragés et menacés, n’aient pas pardonné au philosophe distrait et subtil ce trait savant d’innocence.

En fait, le café Corazza était comme la réplique ou la parodie de ce café du Soleil d’or où, avant le 10 août, des révolutionnaires se donnaient rendez-vous. Chabot qui, avant le Dix-Août, servait d’intermédiaire officieux entre les éléments les plus révolutionnaires de la Législative et les fédérés prêts à livrer l’assaut aux Tuileries, était aussi de la réunion du café Corazza. Sans doute il pressentait des commotions prochaines, et il se proposait de servir de lien, à l’occasion, entre les Défenseurs de la République une et indivisible et la Montagne. Bientôt il prononcera, à propos des divers projets de Constitution, des paroles où retentira toute la pensée de Jacques Roux. Il rêvait évidemment d’être l’agent de conciliation de toutes les forces d’avant-garde de la Révolution. Il n’osa pas, étant vil, se lever en mars contre Marat, Robespierre, Danton et la Commune. Il n’eut pas le courage de leur dire qu’ils avaient tort de désavouer des énergies impatientes, désordonnées, mais dont un jour prochain, pour une action décisive, la Révolution aurait besoin.

Il n’en avait pas moins à ce moment une politique « ultra-maratiste », si toutefois les intrigues démagogiques du méprisable capucin peuvent s’appeler une politique. Et en tout cas, la réunion du café Corazza, si largement arrosée de bière qu’elle pût être, révélait un commencement d’organisation révolutionnaire. Elle était comme un premier moyen d’approche par lequel le véritable comité insurrectionnel tentait de faire pénétrer son action jusqu’aux Jacobins.

Ce comité, que Garat s’appliqua à ne point voir, c’était évidemment cette Société des défenseurs de la République qui s’appuyait sur les Cordeliers et sur quelques sections remuantes, et qui mêlait la revendication sociale et la revendication politique. C’était cette force émeutière et révolutionnaire qui s’était manifestée déjà par des pétitions menaçantes à la Convention, par des déclarations de guerre véhémente aux capitalistes, par l’émeute des subsistances en février, par le manifeste de la section des Poissonnières et le coup de main de Varlet en mars. Mais ce qui explique la cécité volontaire de Garat, c’est que les frontières de ce comité insurrectionnel étaient très difficiles à déterminer. Sans doute il paraissait avoir contre lui presque toutes les renommées constituées, et, si je puis dire, toutes les forces classiques de la Révolution, les trois chefs de la Montagne, la Commune, les Jacobins. Après le 10 mars, comme après le 25 février, le Père Duchesne le désavoue lourdement (no 222, probablement du 17 mars).