Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/351

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volutionnaires songèrent-ils bientôt à limiter l’exclusion aux chefs, à ceux, comme dit l’adresse jacobine, « qui ont égaré un grand nombre de leurs collègues ».

Oui, mais si on ne rejetait que vingt ou trente députés, qui donc ferait le choix ? Qui dresserait la liste de proscription ? Ce ne pourrait être la Convention elle-même ; car si on comprend à la rigueur qu’elle eût pu appliquer un critérium précis tout ensemble et impersonnel et renvoyer devant les assemblées primaires tous les députés coupables de n’avoir pas voté la mort du tyran, comment supposer qu’elle ferait un triage parmi ceux là ? C’est là un acte de violence souveraine et directe que nul ne pouvait attendre de la Convention. Et limiter à vingt ou trente le nombre des exclus, c’était bien empêcher la dissolution de la Convention, éviter le dangereux recours aux assemblées primaires, mais c’était aussi s’en remettre à la force insurrectionnelle et à elle seule du soin de décider.

La Gironde releva le défi, et elle demanda que Marat, coupable d’avoir provoqué à la violation de la représentation nationale, fût traduit devant le tribunal révolutionnaire.

Il y fut envoyé, en effet, par un décret rendu le 15 avril, à la majorité de 226 voix contre 93. Le chiffre des abstentions fut énorme. 374 députés étaient en mission, en congé ou absents : parmi ceux-ci Cambon et Barère. Vaine tentative ! Marat qui avait annoncé la corruption de Mirabeau, qui avait prédit la trahison de Dumouriez, était porté par la force de la Révolution. Entouré, aussitôt après le décret de mise en jugement, de patriotes de la Montagne et des tribunes, il refusa de se rendre à l’Abbaye.

« On dira, sans doute, écrivit-il le lendemain, que j’ai désobéi à la loi, je déclare que je ne reconnais pas pour loi des arrêtés pris par la faction des hommes d’État contre les patriotes de la Montagne : des arrêtés pris dans le tumulte des passions et au milieu du vacarme ; les lois doivent se faire dans le silence et avec dignité. Si la nation avait sous les yeux les scènes scandaleuses de la Convention, elle en expulserait bientôt une partie de ses mandataires, comme indignes de sa confiance, comme des échappés de petites maisons, comme des traîtres. Voilà les prétendus législateurs de la France qui pensent me faire un crime de la résistance à l’oppression. »

Mais, en vérité, que signifie à cette date le mot de loi ? La légalité suppose que, jusque dans leurs luttes les plus violentes, les partis gardent, les uns pour les autres, quelque respect. Elle suppose que, malgré la contrariété des principes et l’opposition des intérêts, il y a entre eux un patrimoine commun qui peut être défendu, aux heures de péril, par des moyens communs. Or, entre la Gironde et la Montagne, il y avait bien, malgré les calomnies abominables qui déformaient chaque parti aux yeux de l’autre, le commun et glorieux patrimoine de la Révolution. Mais, au point d’exaspération où ils étaient tous, ils ne le croyaient plus.