Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/350

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adressèrent à leurs sociétés affiliées un véhément appel demandant la révolution du mandat des Girondins.

« Amis, nous sommes trahis ! Aux armes ! aux armes ! Voici l’heure terrible où les défenseurs de la patrie doivent vaincre ou s’ensevelir sous les décombres sanglants de la République… Mais ce ne sont pas là tous vos dangers ! Il faut vous convaincre d’une vérité bien douloureuse ! Vos plus grands ennemis sont au milieu de vous, ils dirigent vos opérations ; ô vengeance ! ils conduisent vos moyens de défense !

« Oui, frères et amis, c’est dans le Sénat que de parricides mains déchirent vos entrailles ! Oui, la contre-révolution est dans le gouvernement, dans la Convention nationale ; c’est là, c’est au centre de votre sûreté et de vos espérances, que de criminels délégués tiennent les fils de la trame qu’ils ont ourdie avec la horde des despotes qui viennent nous égorger ! C’est là qu’une cabale sacrilège dirigée par la cour d’Angleterre et autres…

« Que les départements, les districts, les municipalités, que toutes les sociétés populaires s’unissent et s’accordent à réclamer auprès de la Convention, à y envoyer, à y faire pleuvoir des pétitions qui manifestent le vœu formel du rappel instant de tous les membres infidèles qui ont trahi leurs devoirs, en ne voulant pas la mort du tyran, et surtout contre ceux qui ont égaré un si grand nombre de leurs collègues. De tels délégués sont des traîtres, des royalistes ou des hommes ineptes. »

C’était le 5 avril que les Jacobins lançaient cette adresse enflammée. Marat, qui présidait ce jour-là la séance, la signa le premier en cette qualité. Elle répondait à la colère véhémente de Danton. Elle allait au delà de la prudente pensée de Robespierre, qui, lui, ne voulait pas briser le mandat de la Gironde, mais l’atténuer jusqu’à rien. Mais qu’on remarque l’évolution qui s’accomplit dans le plan de ceux qui veulent en finir avec le côté droit. Tout d’abord, Danton, irrité, exaspéré, demande le rappel de tous ceux qui n’avaient pas voté la mort du roi. À la réflexion, les Jacobins, les révolutionnaires de gauche comprirent que cette politique avait pour eux un double danger. D’abord, exclure de la Convention tous les appelants (ils avaient été 296) c’était la mutiler de plus d’un tiers de ses membres ; c’était en réalité la dissoudre. Car quelle autorité resterait à une assemblée aussi amoindrie ? Il faudrait donc remplacer les membres exclus, mais les suppléants valaient-ils mieux ? Il serait donc nécessaire de convoquer à nouveau les assemblées primaires. Or, les convoquer dans les départements qui avaient été jusque-là représentés par des Girondins, et rien que dans ceux-là, c’était ne donner la parole qu’à la partie de la France où la Montagne avait le moins de prise ; c’était s’exposer à faire désavouer par ce vote partiel la décision révolutionnaire de la Convention. C’était surtout, par le plus étrange paradoxe, recourir à l’appel au peuple pour châtier les appelants, et consacrer la méthode girondine jusque dans les moyens employés pour ruiner la Gironde. Aussi les ré-