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HISTOIRE SOCIALISTE

prétexte de statuer sur la peine à infliger au roi et de mesurer sa responsabilité, les contre-révolutionnaires allaient soumettre à la critique tous les événements accomplis depuis trois années. Ce ne serait plus le procès du roi, ce serait le procès de la Révolution. Couverts par leur rôle de juge, et participant, pendant un moment, à l’inviolabilité de la Convention elle-même qui leur confiait la décision souveraine, les factieux allaient demander compte du Dix-Août et des journées de septembre. Ils s’armeraient, contre la Révolution, des luttes fratricides des révolutionnaires, de leurs mutuelles accusations. Et dans toute cette poussière soulevée les crimes du roi disparaîtraient. Notez qu’à cette minute précise le premier élan de victoire et de gloire de la République est sinon brisé, au moins amorti. En Allemagne, nos armées reculent ; en Belgique, elles hésitent et se dissolvent : la mauvaise organisation des services administratifs a fait périr des milliers d’hommes de froid et de dénûment.

La France, réunie en ses assemblées primaires, n’aurait donc pas cet irrésistible ressort de confiance et d’orgueil qui défie toutes les manœuvres. Et comme, de chaque commune, les plus vaillants patriotes, les révolutionnaires les plus ardents étaient partis pour aller à l’armée, c’est une nation privée de ses forces les plus pures qui prononcerait en cette question vitale. Que de surprises à redouter ! que d’intrigues !

Et aussi que de sujets de conflit entre les assemblées primaires et la Convention !

D’abord les assemblées primaires pouvaient dire : Puisque la Convention croit devoir nous soumettre le jugement qu’elle a porté sur la personne du roi, de quel droit s’est-elle abstenue jusqu’ici de nous soumettre le jugement bien plus grave qu’elle a porté sur la royauté même ? Et pourquoi la République n’a-t-elle pas été encore, malgré le décret qui le décide, soumise à la sanction du peuple ?

En ce qui concernait le procès même, la Convention avait beau ne proposer à la ratification du peuple que la peine ; comment empêcher le peuple de se saisir du fond même du procès et de décider non seulement quel châtiment subirait le roi, mais s’il subirait un châtiment, et si vraiment il était coupable ? Or il était impossible de mettre sous les regards de quarante mille assemblées primaires les pièces du procès ; qu’adviendrait-il si un grand nombre d’entre elles, cédant aux suggestions des royalistes ou à cette peur des responsabilités définitives dont la Convention même aurait donné l’exemple, se refusaient à statuer ? Toute la vie de la nation était suspendue dans le vide. Toute la Révolution portait à faux.

Et encore, si les assemblées primaires se prononçaient et si elles désavouaient la Convention, si, par exemple, elles annulaient la peine de mort portée par celle-ci, comme la situation des Conventionnels devenait périlleuse ! Ils étaient, en quelque sorte, répudiés par le pays. Ils étaient des régicides, puisqu’ils