Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/48

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cette même Gironde qui, en déclarant la guerre à l’Autriche et à la Prusse, avait déchaîné, sans consulter le peuple, des événements où la Révolution était plus engagée que dans la vie ou la mort du roi, s’avisât soudain que la ratification formelle de la nation était indispensable. Et si le peuple seul pouvait retirer au roi l’inviolabilité donnée par lui, que devenait le Dix-Août ? Fallait-il le dénoncer comme une insurrection criminelle ? Ou, s’il était légitime, comment la Convention élue par la nation toute entière, avait-elle moins le droit d’attenter à l’inviolabilité constitutionnelle du roi que les sections parisiennes et marseillaises soulevées au 10 août ? À vrai dire, l’inviolabilité royale, après le 10 août, n’était plus ; et la Convention recueillait un état de fait créé par la force directe et spontanée du peuple, en qui, Vergniaud, président de la Législative au 10 août, avait reconnu le droit.

C’est chose curieuse, d’ailleurs, de voir la Gironde faire appel à l’exercice direct de la souveraineté populaire. Elle n’y était pas unanime, et Ducos restait fidèle à la politique générale de son parti lorsqu’il disait repousser l’appel au peuple « comme contraire au système représentatif ». En principe, les Girondins aimaient peu l’intervention du peuple lui-même, des sections. Cette action directe et continue du peuple leur paraissait un moyen d’agitation et de tyrannie ; et ils comptaient davantage sur la sagesse des représentants, délibérant sous le prestige d’une parole éclatante. Lorsque Baudot, dans ses notes si profondes, dit :

« Les Girondins voulaient une ample exclusion dans la participation, ou au moins dans la délégation du pouvoir. Nous voulions, nous, comprendre toutes les existences dans la puissance sociale, » cela ne peut pas s’entendre de leur système électoral : ils admettaient le suffrage universel et l’éligibilité de tous les citoyens. Mais ils croyaient que les influences combinées du talent et de la fortune amèneraient, par la voie de la représentation, le gouvernement d’une élite ; et ils se souciaient peu que les prolétaires élevassent la voix.

Brissot ne traite-t-il pas de « cannibales » et d’« anthropophages » la plupart des pétitionnaires qui venaient presser la Convention de juger et d’exécuter le roi ? Lorsque Baudot cite encore le mot de Durand-Maillane, sur la nécessité des masses dans les révolutions :

« Quand on a tant fait dans une révolution que d’y faire entrer le peuple comme partie non seulement légale, mais nécessaire, peut-on le congédier brusquement et contre son gré ? Eh ! le devait-on après ses longs et importants services ? Car sans lui, disons-le, nos orateurs avec leurs belles phrases cadencées, qu’auraient-ils fait ? » C’est la conception girondine qu’il veut combattre avec le témoignage d’un modéré. Même après les efforts des Girondins en faveur de l’appel au peuple, Mallet du Pan note fort bien que leur politique est de tempérer la puissance populaire par le système de la représentation :