Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/502

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bat et un carnage. Je n’étais point appelé par la Convention, mais lorsqu’on me parle d’un grand danger qu’elle court, je crois que c’est dans son sein qu’est mon poste, et je m’y rends.

« En traversant les Tuileries, j’aperçois des groupes, mais ni en très grand nombre ni très nombreux, ni très tumultueux.

« Au grand escalier et à la porte du salon de la Liberté, je vois une foule très grande et très agitée, qui se presse autour de la porte, mais sans aucune arme, au moins visible.

« En entrant dans les cours du Palais National, je vois au-dessus des canons les mèches allumées, et une force armée assez considérable qui longeait et se promenait le long de la façade du Palais, en face du Carrousel. À cette vue, je ne doutai point que la Convention ne fût assiégée en effet, et tant de régularité dans ce mouvement si criminel (Garat rachète, par la violence des adjectifs, l’indécision des actes) me fit croire que ce mouvement avait des chefs.

« Je rencontre Lidon qui me dit qu’il a eu beaucoup de peine à se faire un passage, et qu’il a été menacé. Lidon allait à la Commission des Douze ; j’y monte avec lui, et en même temps arrivent et montent avec nous Pache, qui était mandé, Destournelles et quelques membres de la Commune. Là il y eut entre quelques officiers municipaux et un ou deux membres des Douze de ces paroles qui enflamment plus les passions qu’elles n’expliquent les choses. Il y en avait une que je voulais principalement savoir, et savoir sans aucun doute, c’était par les ordres de qui avait été appelée la force armée que j’avais vue le long du palais, et à la disposition de qui elle était. Lidon me protesta qu’il n’en savait rien ; Pache me fit entendre qu’il avait signé la réquisition, mais qu’il n’avait pas été libre de la refuser. Rabaut de Saint-Étienne, qui avait l’air épuisé de fatigue et qui prenait un bouillon, ne répondit rien à ma question, parce qu’il avait à répondre à d’autres interrogations qui lui étaient faites en même temps. »

Or, c’était la Commission des Douze qui avait donné au commandant du bataillon de la section modérée de la Bulle-des-Moulins l’ordre d’amener plusieurs compagnies en armes ; Pache avait en effet signé la réquisition, mais par ordre. Telle était l’incohérence d’action de la Gironde, qu’au moment où elle procédait à une première mobilisation de la force armée, et où elle donnait ainsi le premier signal de la guerre civile, elle négligeait de prévenir le ministre de l’Intérieur qui, sans lui être courageusement dévoué, avait des sympathies pour elle. La Révolution n’avait plus décidément ni gouvernement ni direction, et c’est seulement par un coup de force du peuple brisant une des deux factions en lutte qu’elle pouvait échapper à la mortelle anarchie.

« Cependant, continue Garat, on venait nous rapporter que la fermentation croissait à chaque instant au dedans de la Convention et au dehors.