Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/52

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interdire toute prudence sous prétexte que c’est lui qui a, le premier, déchaîné la guerre et suscité en France de funestes illusions. Et s’il lui plaît, pour atténuer son erreur, d’alléguer que c’est l’impression des massacres de septembre qui a converti en hostilité la bienveillance première des peuples, pourquoi lui retirerions-nous une explication qui ménage son amour-propre ? Après tout, en une heure d’inertie révolutionnaire, en ce printemps somnolent et incertain de 1792 où il semblait que la force révolutionnaire ne parvenait point à percer la terre, il a osé : il a provoqué le destin. Il se peut que la foudre qu’il a lancée et qui devait emplir de son tumulte et de sa lumière tout l’horizon humain hésite maintenant et se replie. Si Brissot, après avoir obtenu de la guerre ce qu’elle pouvait donner, c’est-à-dire la fin de la royauté, s’aperçoit maintenant que cette guerre, en s’étendant, devient funeste, s’il a perdu, à la rencontre des résistance » du monde, quelques-unes des illusions sans lesquelles il n’aurait pas osé jouer son audacieuse partie de Révolution par la guerre, il a le droit de reconnaître la puissance de l’obstacle et de circonscrire la lutte et le péril.

Si les Girondins, qui ont poussé à la guerre pour renverser le roi, s’effrayent maintenant de l’agrandissement de la guerre et tentent de limiter en enlevant un prétexte trop commode à la contre-révolution européenne, c’est sans doute un acte de clairvoyance et de courage. Mais alors, pourquoi prendre ce détour de l’appel au peuple ? Pourquoi ne pas avertir nettement et directement la France qu’à prononcer la mort du roi elle suscitera contre elle, inutilement, une coalition funeste ?

S’il est vrai, comme ils le disent tous, que l’Angleterre, la Hollande, l’Espagne n’attendent que la mort de Louis XVI pour assaillir la France, et s’il y a quelque chance, en épargnant la vie du roi, d’éviter cet élargissement formidable du conflit, il faut le dire, sans réserve et sans peur. C’est sur le fond même de la question qu’il faut se prononcer devant le pays et devant le monde, et non pas combiner des habiletés de procédure. Ils alléguaient (c’est l’argument principal de Salles et de Brissot) que toute décision de la Convention, quelle qu’elle fût, aurait les périls les plus graves et que ces périls disparaîtraient si le peuple était juge en dernier ressort. Si la Convention, par prudence ou par pitié, faisait grâce au roi de la vie et se bornait à prononcer contre lui la détention ou le bannissement, cette sentence généreuse serait dénaturée et empoisonnée par la calomnie, qui dénoncerait la manœuvre des intrigants sauvant le roi pour sauver la royauté. Si, au contraire, la Convention condamnait Louis à mort, tous les ennemis de la Révolution en France et hors de France accuseraient l’Assemblée ou d’avoir cédé à une atroce soif de sang, ou d’avoir délibéré sous la menace des assassins. Et l’univers était ainsi soulevé contre la France.

Au contraire, que le peuple prononce : s’il fait acte de clémence, s’il sent son cœur assez libre de toute attache à la royauté pour laisser sans