Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/56

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émotion doit être de renvoyer la cause à d’autres juges, qui, eux, n’auront pas entendu.

À peine l’éblouissement de cette splendide parole fut-il un peu dissipé, on se demanda : Mais que se propose donc Vergniaud ? S’il veut sauver le roi, pourquoi s’embarrasse-t-il de ce pesant et dangereux système de l’appel au peuple ? Ou si c’est vraiment l’appel au peuple qui l’intéresse, s’il se préoccupe de maintenir avant tout ce qu’il appelle le droit de la souveraineté populaire, pourquoi s’engage-t-il aussi à fond par des paroles de clémence ? Pourquoi semble-t-il présenter l’appel au peuple comme un moyen suprême d’humanité et de pardon, au risque d’en détourner ceux qui, séduits par l’apparente logique de ce système de souveraineté populaire, ne voudraient cependant pas qu’il tournât au salut du tyran ?

Ce qui ajoute à l’incertitude et à la confusion, c’est que, même parmi les Girondins qui soutenaient l’appel au peuple, il n’y avait pas unité de tactique, de pensée et d’accent. Salles voulait que la Convention se prononçât seulement sur la culpabilité, qu’elle s’abstînt de statuer sur la peine, et qu’elle laissât aux assemblées primaires le soin de décider seules si Louis serait puni de la détention, du bannissement ou de la mort. Buzot, au contraire, voulait que la Convention se prononçât aussi sur la peine, mais que celle-ci fût soumise à la ratification du peuple.

« Mon opinion diffère de celle de Salles en ce que je prononce la condamnation à mort contre Louis XVI, et que j’en renvoie la confirmation à la nation entière, tandis que Salles veut, au contraire, que nous nous bornions à décider si Louis XVI est coupable, et que nous renvoyions aux assemblées primaires l’application de la peine. Voici les raisons de cette différence : premièrement vous avez décrété que Louis serait jugé par la Convention, et vous en avez reçu les pouvoirs du peuple qui les confère tous. Y renoncer serait mettre une arme de plus entre les mains de nos ennemis, qui ne manqueraient pas de vous accuser de faiblesse et de vous croire retenus par la peur ; ils diraient que vous n’avez pas su porter avec courage le fardeau que vous vous étiez imposé, que vous avez craint même d’en soulever le poids. Osez le faire, encourez avec franchise et fermeté la responsabilité qu’il appelle sur votre tête : vous ôterez à la calomnie un nouveau prétexte pour avilir la Convention. Secondement, je pense que vous devez vous-mêmes diriger et fixer l’opinion ; le peuple, dans ses assemblées primaires, s’appuiera de votre exemple ; les faibles seront raffermis dans leur opinion chancelante par l’expression de la vôtre ; et les hommes de courage en auront plus de force pour lutter avec succès contre les partisans d’un modérantisme exagéré ; enfin la liberté des assemblées primaires reste entière, mais les dissentiments ne sont plus à craindre, et les opinions qui pourraient être timides et flottantes ont un centre de force et de lumière dans le prononcé de votre décret »

Qui ne croirait, à entendre ces paroles, que Buzot, tout au contraire de