Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/603

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

que tout est perdu, qu’une garde étrangère tient captive la Convention jusqu’à ce que le moment de l’égorger soit arrivé. Que les prétendus sages sont petits ! Ils s’étaient effrayés d’une poignée de sentinelles, armés de piques, qui gardaient les portes, qui ne permettaient à personne ni d’entrer, ni de sortir : mesure de prudence qu’avaient prise les meilleurs citoyens, pour empêcher que quelques députés de la faction ne fussent maltraités par des scélérats apostés. Au milieu du désordre on propose au président de sortir à la tête de la Convention ; il descend du fauteuil, presque tous les membres le suivent, il se présente à la porte de bronze ; à l’instant la garde ouvre le passage. Au lieu de revenir sur ses pas et de constater la fausseté des clameurs, il conduit la Convention en promenade dans les cours et dans le jardin. J’étais resté à mon poste avec une trentaine de Montagnards. Les tribunes, impatientes de ne pas voir revenir l’assemblée, murmuraient hautement ; je les apaise ; je vole après la Convention ; je la trouve au pont tournant, d’où Barère proposait, dit-on, de la mener au Champ-de-Mars ; je la presse de revenir à son poste ; elle s’y rend et reprend ses fonctions. »

Le Marais avait pu voir que les sections révolutionnaires étaient résolues à en finir. Sur le passage de la Convention, le peuple avait crié : « Vive la République ! Sauvez-nous ! À bas les vingt-deux ! »

Ce n’était pas seulement contre les canons d’Henriot, c’est contre la Révolution elle-même qu’il aurait fallu lutter pour disputer plus longtemps la Gironde au destin. Couthon demanda que les députés dénoncés fussent mis en état d’arrestation chez eux, ainsi que les ministres Clavière et Lebrun. Il fut acclamé, et le décret immédiatement rendu frappa Vergniaud, Brissot, Guadet, Gorsas, Pétion, Salles, Chambon, Barbaroux, Buzot, Birotteau, Rabaut Saint-Étienne, Lasource, Lanjuinais, Grangeneuve, Lesage (d’Eure-et-Loir), Louvet (du Loiret), Valazé, Doulcet, Lidon, Lehardi (du Morbihan), et tous les membres de la Commission des Douze, sauf Fonfrède et Saint-Martin, et les ministres Clavière et Lebrun.

Aussitôt le département de Paris, après avoir remercié l’Assemblée d’un vote qui est le salut de la patrie, s’offre à constituer des otages pris dans son sein, en nombre égal à celui des députés arrêtés, et pour répondre à leurs départements de leur sûreté.

Non, ce n’était pas à la vie des Girondins que les révolutionnaires en voulaient. Vergniaud, en un de ces jours tragiques, s’était écrié : « Donnez donc à boire à Couthon un verre de sang ; il a soif ». Vergniaud se trompait, Couthon n’avait pas soif de sang. Mais la Gironde était devenue un péril mortel pour la France révolutionnaire. Elle devait disparaitre. Au 2 juin, sa puissance politique s’effondre.

Pourquoi fut-elle vaincue ? Pourquoi fut-elle éliminée ? Est-ce que, comme le dit Sybel, elle était devenue à ce point un parti de classe, le parti exclusif de la bourgeoisie, qu’elle ne pouvait plus exercer une action commune avec