Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/607

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« Le reproche qu’on nous fait d’être fédéralistes doit bien étonner les Américains, dont nos adversaires mêmes recherchent en ce moment l’utile alliance. Le fédéralisme est-il donc un monstre qui doive révolter ? Est-ce donc un crime que de chérir un gouvernement sous lequel l’Amérique est heureuse et libre ? Pauvres gens, ils ne savent pas ce que c’est, et vont toujours leur train, comme s’ils savaient quelque chose. Le fédéralisme est peut-être, pour les vastes pays où l’on veut réunir les avantages d’une liberté bien ordonnée dans l’intérieur avec ceux d’une réunion puissante de toutes les forces de l’État à l’extérieur, le mode de gouvernement qui convient le mieux à un grand peuple… Le reproche de fédéralisme qu’on a fait aux proscrits serait peut-être un nouveau titre à la reconnaissance publique, s’ils l’eussent mérité ; mais il n’est pas mieux fondé que tous les autres. Ce n’est pas assurément dans les discussions de la Convention nationale qu’on a pu s’apercevoir du projet qu’on leur suppose d’établir parmi nous cette forme de gouvernement républicain, laquelle, au surplus, n’excluait pas l’unité et l’indivisibilité de la République ; mais leurs nombreux écrits attestent leur invincible attachement à ce principe pour ceux qui veulent les lire et qui peuvent les entendre. Le principal ouvrage qu’ils aient rédigé en commun, c’est la Constitution dont Condorcet a développé le principe dans un fort bon discours… Pourquoi ne trouve-t-on ni dans le discours de Condorcet ni dans la Constitution à laquelle il sert de préambule, aucune trace de fédéralisme, aucun éloge, aucune indication de cette forme de gouvernement ?

« Fédéralistes ! Et pourquoi ? Pour avoir proposé une force départementale ? Proposition juste dans son principe, salutaire dans son objet ; moyen propre à arrêter les excès coupables des meneurs de la capitale, à modérer l’ambition dévorante de Danton, de Robespierre, et de la Commune de Paris, à former enfin de toutes les parties de l’empire un faisceau de volonté, de confiance, d’union et de concorde, qui conservât entre elles sans altération les principes d’égalité et de liberté, l’unité d’action et de puissance. Si cette mesure eût été prise à temps, les maux de la république ne seraient pas aujourd’hui à leur comble.

« Fédéralistes ! et pourquoi ? pour avoir voté l’appel au peuple dans l’affaire du roi. Cet appel n’était qu’un juste hommage que les représentants du peuple français devaient s’empresser de lui rendre en cette circonstance ; c’était une grande et utile mesure contre les prétendants à la tyrannie, qui n’auraient pas pu se prévaloir de la mort de Louis XVI pour s’environner de toutes les forces, de toutes les puissances de l’État, et subjuguer les citoyens les uns par les autres. Nos départements n’auraient pas été asservis à la Commune de Paris…

« Fédéralistes ! Et pourquoi ? pour avoir voulu qu’on punisse les massacreurs de septembre, dont Robespierre et Danton étaient les conducteurs et les chefs…