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« Fédéralistes ! Et pourquoi ?… »

Ah ! certes, la preuve est surabondante ; tous les propos de Buzot proscrit exhalent la violence douloureuse des haines ; ils n’expriment pas un système. Et ce n’est pas un plan préconçu de fédéralisme, c’est la logique folle de la lutte contre la cité centrale, dont ils n’étaient plus les maîtres, qui a tourné l’esprit des Girondins vers la grande vie dispersée et morcelée des départements.

Peut-être n’a-t-on pas assez remarqué (si même on y a pris garde) que Marat absout les Girondins du reproche de fédéralisme ; il est vrai que c’est pour les accuser d’avoir voulu mettre une action centralisée et unitaire au service de la contre-révolution et de la royauté. Buzot pose le dilemme : ou nous sommes fédéralistes, et alors nous sommes républicains ; ou nous sommes royalistes, et alors nous ne sommes pas fédéralistes. Et Marat dit : « Non, les Girondins ne sont pas fédéralistes, car, au fond, ils sont royalistes. » Je lis dans le « Publiciste de la République française, par Marat, l’Ami du peuple » (numéro du 24 mai 1793) :

« Tant que le tyran avait la tête sur les épaules, la faction des hommes d’État a tout fait pour l’arracher au supplice et conserver la royauté dans sa personne, quoique la République ait été proclamée d’après le vote formel de tous les bons Français. On a longtemps accusé de fédéralisme les meneurs de cette infernale faction ; j’avoue que je n’ai jamais partagé ce sentiment, quoiqu’il me soit arrivé quelquefois de reproduire cette inculpation. Je me fonde particulièrement sur ce que les meneurs sont trop instruits pour imaginer qu’une République fédérative chez les Français pût produire un ordre durable ; car au milieu d’une nation vaine, frivole, irréfléchie, possédée de l’amour de la domination, et toujours prête à devenir la dupe du premier fripon assez adroit pour capter sa confiance, le fédéralisme aurait bientôt allumé des dissensions intestines dans tous les départements, renouvelé les guerres désastreuses des barons et ramené le gouvernement féodal.

« Quoi qu’il en soit, les intelligences des principaux meneurs avec la cour avant le 10 août, les relations intestines de leurs acolytes avec Dumouriez pour rétablir la Constitution de 1789, et la déclaration de ce général conspirateur depuis son expédition de la Hollande, ne laissent aucun doute sur leurs véritables projets.

« Ces projets criminels n’ont point changé depuis la chute du généralissime, c’est en relevant les suppôts de l’ancien régime, et en faisant triompher les ennemis de la Révolution qu’ils travaillent à rétablir la royauté. Ils ont trop bien senti qu’avant tout ils doivent se rendre maîtres absolus dans la Convention, pour pouvoir faire ensuite impunément les arrêtés les plus liberticides, et décréter la contre-révolution. Mais comment y parvenir sous les yeux d’un public éclairé et au milieu d’une ville immense telle que Paris ? L’entreprise leur paraissait aussi vaine que dangereuse, ils se sont enfermés