Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/615

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lantes. Ils étaient comme de jeunes dieux se mouvant sans obstacle dans les intervalles de mondes peu résistants. Il n’y avait, si je puis dire, dans la constitution du monde politique et social ni densité monarchique ni densité populaire, et parmi tous les pouvoirs ou en dissolution ou en formation, la vanité et l’ambition girondines circulaient étourdiment.

Ces hommes ambitieux et légers, qui sentaient que de grandes choses restaient à faire et qui ne voyaient pour les accomplir d’autre force que la leur, crurent un moment qu’ils portaient en eux, dans leur génie facile, dans leur audace un peu inconsistante, dans leur éloquence toujours prête, toute la Révolution. Peut-être, s’ils étaient restés abandonnés à eux-mêmes, si chacune de ces individualités avait suivi sa loi un peu incertaine, se seraient-ils répartis bientôt entre des tendances diverses, et leur caprice ne se serait pas consolidé et alourdi en coterie.

Mais ce fut toujours le rêve de Mme Roland de gouverner par un petit groupe d’hommes, elle l’exprime obstinément dans ses lettres de 1791 : il lui paraît que les événements iront à la dérive tant qu’une association d’amis ne les dirigera pas. Funeste tentation ! L’influence que donna à Mme Roland son passage au ministère, le lien d’amour douloureux et amer dont elle lia l’orgueilleux Buzot, tout lui permit d’imposer peu à peu une sorte de discipline de coterie à ces hommes qui ne connaissaient pas la grande discipline politique et sociale. Associés très vite, par l’entrée de plusieurs Girondins au ministère, aux responsabilités du pouvoir, obligés ou entraînés à des compromis, à des transactions, ils ne tardèrent pas à être dépassés par le mouvement des forces.

La guerre même qu’ils avaient suscitée déchaîna la brutale énergie du peuple. Des forces neuves, dont Paris était le centre, se manifestèrent, et les pouvoirs nouveaux parurent à la Gironde, tout à la fois un reproche et une usurpation. Tout l’espace lumineux cessait d’appartenir à, ces esprits infatués. De là leur révolte, le jour où l’habitude de domination exclusive et irresponsable qu’ils avaient contractée dans la période de dispersion révolutionnaire et d’individualisme éclatant se heurta à des organisations résistantes, aux Jacobins reconstitués, à la démocratie parisienne, à l’influence robespierriste, aux groupes véhéments qui se formaient et circulaient autour de Danton, à la Commune. Voilà le vrai principe des conflits entre la Gironde et la Montagne, il n’est pas dans des antagonismes sociaux : il est dans la puissance des passions humaines les plus communes, l’ambition, l’orgueil, la vanité, l’égoïsme du pouvoir. Tout naturellement, et par la critique même qu’elle appliquait aux forces nouvelles de démocratie, la Gironde se constitua des thèses politiques et sociales. Mais ces thèses n’étaient pas le fondement originel de la politique girondine. Elles étaient le prétexte, trouvé après coup, d’une opposition dénigrante, orgueilleuse et aigre.

Sans doute, le sourd conflit des classes ne tarda pas à se mêler à la lutte