Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/616

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politique des partis. Mais, à cette date, il n’en est pas le fond. La Montagne, préoccupée avant tout de sauver la Révolution et de refouler l’invasion menaçante, avait une complaisance toute naturelle pour le peuple immense et robuste qui se précipitait aux armées. Elle était toute disposée à assurer par des moyens économiques la vie de ce peuple, par la taxation du blé, par l’emprunt forcé progressif sur les riches. Mais elle ne voulait pas engager une lutte systématique contre la bourgeoisie. C’étaient là des mesures de combat révolutionnaire, et elles étaient destinées, au fond, à servir contre le vieux monde menaçant les intérêts de la bourgeoisie elle-même, qui ne pouvait être puissante que par la victoire de la Révolution. Le Montagnard Levasseur déplore que dans leur acharnement à combattre les autorités parisiennes, les Girondins aient tenté d’exciter les ombrages de la classe bourgeoise :

« C’était vouloir lancer l’une contre l’autre deux classes de la société qui avaient été intimement liées à la Révolution. Peut-être se préparait-on ainsi le beau rôle en se mettant à la tête de la partie de la société où toutes les lumières se trouvent concentrées ; nous croyions, nous, mieux servir la chose publique en appuyant cette masse de peuple où se concentrent les bras nerveux et les énergiques dévouements. Peut-être ne devait-il pas en sortir un général illustre ou un éloquent tribun ; mais c’était elle qui composait les nombreux bataillons qui rejetèrent loin de nos frontières les cohortes ennemies ; c’était elle qui sauvait la république, tandis que les passions de nos hommes d’État la précipitaient vers l’abîme. »

Les hommes d’action qui, par leur brusque surgissement et par leur organisation révolutionnaire, avaient refoulé au second plan la Gironde incohérente et parleuse, ayant marqué leur sympathie à la force active du peuple, les Girondins calomnièrent cette force active, et ils rétrogradèrent jusqu’à une sorte de bourgeoisie feuillantine, non par esprit de classe, mais pour avoir une clientèle politique à opposer à une autre. C’est sous cette réserve que j’approuve le jugement de Baudot :

« Les Girondins voulaient arrêter la Révolution sur la bourgeoisie ; mais cette révolution était alors impossible et impolitique dans le temps. La guerre était flagrante au dehors, menaçante au dedans, les hordes étrangères ne pouvaient être repoussées que par les masses ; il fallait donc les soulever et les intéresser au succès. La bourgeoisie est paisible de sa nature, et d’ailleurs pas assez nombreuse pour de si grands mouvements.

« La Montagne seule comprit donc bien sa mission, qui était d’abord d’empêcher l’invasion étrangère, et elle employa le seul moyen qui pût faire réussir cette haute entreprise. Elle se trouva pressée dans une grande nécessité, elle osa la proclamer ; les Girondins, ou ne la voulurent point, ou ne voulurent pas en subir le destin. »

Sans doute, mais si les Girondins voulurent arrêter la Révolution sur la bourgeoisie, c’est surtout parce qu’ils prétendirent l’arrêter sur la Gironde.