Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/669

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roles d’un écrivain philosophe : « On ferait un volume des fausses maximes accréditées dans le monde ; on y vit sur un petit fonds de principes dont fort peu de gens se sont avisés de reculer les bornes. Quelqu’un ose-t-il prendre l’essor et voir au delà ; il effraie, c’est un esprit dangereux ; c’en est tout au moins un bizarre. »

Sur quoi Clootz fondait-il l’espérance de cette unité humaine qu’il annonçait pour un avenir très prochain et qu’il voulait prévoir et organiser d’avance dans un plan général de Constitution applicable à tous les peuples réconciliés ? Sur trois idées essentielles. D’abord les Droits de l’Homme, ayant un caractère universel, ont nécessairement des effets universels et une application universelle ; bien mieux, leur application n’est complète en un point du monde que si elle s’étend au monde entier ; car les précautions que la liberté isolée d’une patrie étroite est obligée de prendre contre la servitude menaçante et envahissante des autres patries pèsent sur la liberté de la première. En second lieu, la nature physique du globe n’offre pas plus d’obstacles infranchissables que la nature humaine n’offre de différences irréductibles ; la nature physique a, comme la nature morale, un caractère d’homogénéité, de continuité, de pénétrabilité qui permet l’échange perpétuel des produits comme la communication incessante des idées et le mouvant équilibre de volontés égales. La diversité des climats et des productions ne s’oppose pas plus à l’unité économique du monde humain qu’à son unité politique.

Enfin, la négation systématique du Dieu transcendant et des formes multiples et contradictoires où ce Dieu se déguise selon les religions, complétera l’unité humaine en abolissant les superstitions ennemies qui s’élèvent comme des barrières ensanglantées entre les nations et les races. Les religions séparent : l’athéisme, négation fondamentale des religions, réunira. Ou si les hommes éprouvent le besoin de coordonner leurs affections dispersées et leurs pensées multiples en un acte unique de haute intelligence et d’adoration, s’il leur plaît de se représenter le Tout et de l’appeler Dieu, le Dieu qu’ils adoreront sera la Nature immense, qui affirme sa continuité par le déroulement infini du temps et de l’espace, qui affirme son unité par la correspondance et l’action réciproque de toutes ses forces ; et dans cette unité de la nature ils adoreront une unité plus immédiate, l’humanité une, le Peuple-Dieu.

Ainsi transformée et identifiée à son véritable objet, qui est la Nature immense, éternelle et une, la religion elle-même deviendra une puissance d’unité ; et l’unité humaine sera fondée sur une triple base juridique, économique et religieuse : universalité du droit, universalité de l’échange, universalité de la croyance ; une sorte de panthéisme juridique, moral et cosmique enveloppera dans son unité les libres diversités humaines.

Voilà le thème magnifique que Clootz développe à la tribune de la Convention avec une force et une richesse de pensée admirables, où Rousseau et