Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/670

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

Adam Smith, Diderot et Humbolt, Helvétius et Spinosa semblent contribuer, et avec d’étonnantes ressources de langage :

« L’individu ne saurait être libre tout seul ; un petit nombre d’individus ne sauraient rester libres longtemps. Nous ne sommes pas libres si des barrières étrangères nous arrêtent à dix ou vingt lieues de notre manoir, si notre sûreté est compromise par des invasions, si notre repos est troublé, notre revenu grevé par des forces militaires, si notre commerce est interrompu par des hostilités, si notre industrie est renfermée dans le cercle étroit de tel ou tel pays. Nous ne sommes pas libres si un seul obstacle moral arrête notre marche physique sur un seul point du globe. Les Droits de l’Homme s’étendent sur la totalité des hommes. Une corporation qui se dit souveraine blesse grièvement l’humanité, elle est en pleine révolte contre le bon sens et le bonheur ; elle coupe les canaux de la prospérité universelle ; sa Constitution manquant par la base sera contradictoire, journalière et chancelante. De ces données incontestables résulte nécessairement la souveraineté solidaire, indivisible, du genre humain ; car nous voulons la liberté plénière, intacte, irrésistible, nous ne voulons pas d’autre maître que l’expression de la volonté générale, absolue, suprême. Or, si je rencontre sur la terre une volonté particulière qui croise l’instinct universel, je m’y oppose ; cette résistance est un état de guerre et de servitude dont le genre humain, l’être suprême, fera justice tôt ou tard.

« Les attributs d’une divinité fantastique appartiennent réellement à la divinité politique. J’ai dit, et je le répète, que le genre humain est Dieu et que les aristocrates sont des athées. C’est le genre humain régénéré que j’avais en vue, lorsque j’ai parlé du Peuple-Dieu dont la France est le berceau et le point de ralliement. La souveraineté réside essentiellement dans le genre humain entier ; elle est une, indivisible, imprescriptible, immuable, inaliénable, impérissable, illimitée, absolue, sans borne et toute puissante ; par conséquent deux peuples ne sauraient être souverains, car en se réunissant, il ne reste plus qu’un seul souverain indivisible ; donc, aucune réunion partielle, nul individu ne peut s’attribuer la souveraineté…

« Règle générale, partout où vous trouverez des lois qui blessent les Droits de l’Homme, des lois accidentelles qui contrarient les lois éternelles, partout où vous verrez les ports et les havres fermés à notre commerce, ainsi que les chemins et les canaux prohibés, luttez contre l’erreur si c’est un pays libre, contre le tyran si c’est un pays despotique, contre les aristocrates si c’est un pays oligarchique… Une portion du genre humain ne saurait s’isoler sans être rebelle et le privilège dont elle se targue est un crime de lèse-démocratie… Une fraction de la grande famille ne saurait s’emparer de la faculté souveraine, de la faculté de vouloir absolument, irrésistiblement, sans un démenti formel au genre humain. La souveraineté d’une république de Raguse est aussi dérisoire que celle d’un roi Louis-Capet. Deux hommes ou deux peuples