Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/67

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pour le roi contre le peuple. Et la royauté sauvée rendra aux riches, par l’attiédissement général de la Révolution, ce qu’elle aura reçu d’eux.

Ainsi Robespierre approfondissait tout ensemble et envenimait le problème ; et comme d’habitude, avec une force de dialectique étonnamment pressante, il convertissait les suites probables ou possibles des choses en intentions formelles, en desseins délibérés et précis de l’ennemi :

« Voilà le but affreux que l’hypocrisie la plus profonde, disons le mot, que la friponnerie la plus déhontée cache sous le nom de la souveraineté du peuple qu’elle veut anéantir. »

Vérité et fiel : pointe acérée et jalouse qui, au fond même de la blessure qu’elle fouille et qu’elle guérit, laisse une goutte de venin. Quand je lis et relis ce discours et que je m’interroge, je démêle en moi une émotion irritée et une admiration qui n’est point toujours sans malaise. Je sais gré à Robespierre d’avoir vu si juste et d’avoir parlé si fortement ; je lui sais gré d’avoir évoqué, contre les influences funestes qui allaient égarer la Révolution, même les puissances de l’envie et de la haine, et d’avoir mis l’obscure révolte sociale au service de la liberté menacée. Mais je lui en veux de mêler un accent de personnelle rancune et un besoin de personnelles représailles à son âpre réquisitoire ; je lui en veux d’avoir contribué, par ses calomnies homicides de septembre, à fournir aux Girondins le prétexte dont leur conscience un peu vaine avait besoin.

Et pourtant, Robespierre, ici, avait si pleinement raison, il avait si bien le droit d’être irrité par la mensongère invocation de la souveraineté nationale et par l’intrigue de parti qui mettait la Révolution en péril, que l’on finit parfois par oublier que lui-même ne s’oublie point.

Ce qu’il y a de beau dans le discours de Vergniaud, qui lui répondit trois jours après, c’est l’inspiration de générosité qui harmonise les parties du discours les plus disparates, en apparence, et les plus contraires ; c’est la sérénité un peu triste, qui enveloppe et adoucit même les passages de colère. Certes, il ne ménage pas Robespierre et sa faction : il accuse avec l’abondance et la véhémence d’une âme longtemps contenue et qui éclate enfin ; et quand il rappelle à Robespierre qu’aux journées de péril il se cacha dans un souterrain, quand il demande à ceux qui vont déchaîner la guerre et peut être affamer le peuple, s’ils pourront le nourrir avec les lambeaux sanglants des victimes : « Voulez-vous du sang ? Prenez, en voici, du sang et des victimes », quand il élargit ainsi le charnier de septembre pour y ensevelir l’honneur même de ceux qu’il combat, ce sont de terribles paroles ; et pourtant, on n’y sent aucune haine intérieure, sournoise et profonde : c’est la brusque expansion d’une âme noble et un peu indolente, qui se révolte un jour contre ce qui lui paraît injuste ou barbare, mais qui est émue de plus de pitié sur la folie mauvaise des hommes que de ressentiment individuel. Peut-être aussi la