Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/684

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

nos hommes d’État ! Au moins, à la cour de Versailles n’était-on pas inconséquent, on ne s’y piquait pas de professer la vérité, d’établir la liberté et l’égalité sur les Droits de l’homme ; on n’y reconnaissait que le droit français. Et moi qui fonde ma Constitution sur la déclaration des droits universels, je rencontre des Français d’autrefois, des Huns et des Goths, des grands enfants dans le sein d’une Assemblée qui invoque les droits de l’homme. Certes, si tous les Français étaient à Coblentz, ou à la Guyane, la brave sans-culotterie de nos 86 ou 87 départements mettrait à bas tous les tyrans de l’Europe. La tyrannie n’a pas d’auxiliaire plus robuste que le mensonge, et sans la sagesse du peuple on ne se contenterait pas de me rire au nez comme à Copernic, mais on me persécuterait corporellement comme Galilée et Jean-Jacques. Je me venge avec mon franc parler et je me moque des moqueurs. « Le système d’Anacharsis Clootz est la meilleure apologie de la Révolution française, » a dit un penseur anglais, et des Français non émigrés me jettent la pierre… Avouez, citoyens, que j’ai forte partie contre moi : les fripons et les sots, mais le peuple est plus fort que ces gens-là. Le peuple adopte mon système qui le délivre à jamais de la guerre étrangère et de la guerre civile, et même de la rébellion locale. Les troubles du dedans proviennent des troubles du dehors. Les fanatiques de la Vendée oseraient-ils lever la tête si nous n’étions pas environnés de tyrans, si nous n’étions pas resserrés dans des frontières onéreuses et absurdes ? Le cabinet de Saint-James encourage les rebelles par ses intrigues et ses escadres ; mais si l’Angleterre était libre, nous verrions au contraire les gardes nationales de Londres et de Portsmouth accourir en deçà du canal et au delà des tropiques pour exterminer les ennemis de la raison universelle.

« Si nos hommes en place, nos messieurs n’entendent pas ce langage, le public l’entendra parfaitement. Toujours les gouvernés ont été plus philosophes que les gouvernants. Sous l’ancien régime, la ville valait mieux que la cour ; sous le nouveau régime, le forum vaut mieux que la Convention. Cela ne doit pas étonner l’observateur qui calcule l’effet de l’intérêt particulier sur une grande masse, et l’effet de l’intérêt particulier sur une petite masse. Un gouvernement quelconque a la manie de se croire plus sage que le peuple ; cette manie est le comble de la sottise, l’expérience nous guérira, j’espère. Le peuple est mon oracle ; la vérité ne descend pas du haut des cieux, mais du haut des tribunes. »

C’est, je pense, des tribunes d’où le peuple suivait les débats que parle Clootz. Il ne semble pas cependant qu’elles l’aient beaucoup soutenu quand la Convention coupait de railleries la lecture de ces pages étranges et admirables. Elles paraissent ne l’avoir applaudi que lorsqu’il disait qu’attaquer Paris c’était attaquer la République, et cela était hors de sa thèse. Clootz était-il bien sûr que l’instinct nationaliste n’était pas aussi profond dans le peuple que dans la Convention ? Hélas ! contre les persécutions « corporelles » qui