Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/683

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universelle nous dispensera un jour d’avoir ce qu’on appelle un gouvernement. »

C’est tout le programme de la période héroïque des économistes : suppression des douanes et des polices économiques, affermissement de la paix par l’harmonie du libre échange, désarmement, réduction presque à rien des dépenses gouvernementales et administratives. Mais Clootz allant d’emblée au terme de l’évolution organise cette harmonie économique sur la base de l’État politique universel, et c’est au profit des travailleurs, c’est avec un accent de vive sympathie sociale pour la sans-culotterie universelle qu’il développe les conséquences de l’unité humaine. Mais quoi ! même dans un État politiquement unifié, déchargé de l’armée et de la dette, Clootz est-il sûr qu’il y aura équilibre économique ? Quel champ vierge et immense offert à la puissance des grands capitaux ! et que de monopoles capitalistes terrestres vont surgir ! Selon la mise en exploitation de telle ou telle partie des continents il y aura dans l’État unique de formidables déplacements de travail et d’industrie, et les salariés resteront dans un état de dépendance et d’insécurité. C’est tout un ordre de questions qui est fermé à Clootz. N’importe ! Quelque insuffisant que soit un système auquel manque la grande pensée socialiste, il a marqué une des lignes, une des directions essentielles qui entrent dans la résultante du progrès humain. Autant il serait vain d’espérer que l’unité humaine et l’harmonie économique pourront s’accomplir sans l’action croissante de l’idée socialiste et du prolétariat organisé, autant il serait puéril de croire qu’il faut attendre l’entier accomplissement socialiste et communiste pour libérer l’humanité du fardeau de la guerre, de la caste militaire, de la caste sacerdotale, de cette portion de la dette publique qu’entretient et accroît la paix armée. L’histoire se rit des abstractions et elle combine en un vaste effort simultané, en une admirable et paradoxale réciprocité, des forces qui dans la pensée unilatérale des théoriciens semblent dériver l’une de l’autre.

Clootz savait que sa pensée rencontrait beaucoup de résistance et éveillait bien des ironies. Il ne s’en affectait pas et il comptait sur l’avenir. Dans l’avant-propos qu’il met à son discours imprimé, sa confiance éclate, un peu amère et hautaine.

« J’élèverai, dit-il dans son beau style nourri d’images par toutes les sciences et par tous les climats, j’élèverai un monument impérissable dont les inscriptions seront des hiéroglyphes pour les barbares. La sans-culotterie me comprendra parfaitement, la culloterie ne voudra pas me comprendre. Quoique la Convention nationale ne soit pas à la hauteur de sa mission, néanmoins un grand nombre de mes collègues embrassent ma doctrine, et il ne faut que douze apôtres pour aller bien loin dans le monde. J’ai le malheur de ne pas être de mon siècle ; je suis un fou à côté de nos prétendus sages. Emmanuel Sieyès, avec son Tiers état, n’aurait pas joué un plus sot rôle dans un lit de justice à Versailles, que moi avec mon genre humain parmi