Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/695

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

et qui consistent à assurer à tous les individus premièrement la subsistance, en second lieu, une éducation égale : tout cela part d’un point commun, et va encore aboutir à un même centre.

« Et ce centre est toujours le but unique où tendront toutes les constitutions de la terre, lorsqu’elles vont en se perfectionnant. Vous avez beau abattre tous les sceptres des rois, vous constituer en république, proférer continuellement le mot saint d'égalité, vous ne poursuivez jamais qu’un vain fantôme et vous n’arrivez à rien.

« Je vous le dis tout haut à vous, mon frère, et ce ne sera pas encore sitôt que j’oserai le dire bas à d’autres : cette loi agraire, cette loi que redoutent et que sentent bien venir les riches, et à laquelle ne pensent nullement encore le grand nombre des malheureux, c’est-à-dire les quarante-neuf cinquantièmes du genre humain, qui cependant si elle n’arrive point mourront en totalité dans deux générations tout au plus… cette loi que vous vous rappelez bien qu’étant entre nous deux nous avons vu Mably rappeler par ses vœux ardents ; cette loi qui ne reparaît jamais sur l’horizon des siècles que dans des circonstances comme celles où nous nous trouvons, c’est-à-dire quand les extrêmes se touchent absolument, quand les propriétés foncières, seules vraies richesses, ne sont plus que dans quelques mains et que l’impossibilité universelle de pouvoir assouvir la terrible faim détermine le plus grand nombre à revendiquer le grand domaine du monde où le Créateur a voulu que chaque être possédât le rayon de circonférence nécessaire pour produire sa subsistance : cette loi, dis-je, est le corollaire de toutes les lois. C’est là que se repose toujours un peuple lorsqu’il est parvenu à améliorer sa condition sous tous les autres rapports…

« Vous reconnaissez sans doute comme moi cette grande vérité que la perfection en législation tend au rétablissement de cette égalité primitive que vous avez si bien chantée dans vos poèmes patriotiques, et comme moi, vous sentez sans doute encore que nous marchons à grands pas vers cette grande révolution.

« … Oui, vous êtes peut-être réservé, et peut-être l’étions-nous tous deux pour sentir les premiers et pour faire sentir aux autres le grand mystère, le secret qui doit briser les chaînes humaines. Si cela est, que je vous vois grand entre les législateurs !

« Mais, comment conçois-je qu’avec toute la force dont vous êtes armé, il vous sera possible de diriger les premiers mouvements pour accélérer une aussi belle victoire ? Sera-ce ouvertement et par un manifeste précis qu’il faudra que s’annonce le sauveur du monde ? Non, sans doute, et l’on ne serait pas bien reçu, je pense, à proposer tout crûment (ces idées ?) à notre malheureuse assemblée. La vertu se verra donc, pour combattre la corruption, forcée de se servir des armes généralement introduites par celle-ci. Il faudra qu’elle oppose politique à politique. Il faudra que les dispositions