Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/696

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premières soient bien masquées, et qu’elles ne paraissent tendre aucunement vers le but concerté.

« Mais je réfléchis, je me dis : « Il n’est presque personne qui ne rejette fort loin la loi agraire ; le préjugé est bien pis encore que pour la royauté et l’on a toujours pendu ceux qui se sont avisés d’ouvrir la bouche sur ce grand sujet. Est-il bien certain que J.-M. Coupé lui-même sera d’accord avec moi sur cet article ? Ne m’objectera-t-il pas aussi avec tout le monde que de là résulterait la défection de la société ; qu’il serait injuste de dépouiller tous ceux qui ont légitimement acquis, que l’on ne ferait plus rien les uns pour les autres et que dans la supposition de possibilité de la chose les mutations postérieures auraient bientôt rétabli le premier ordre ? Voudra-t-il se payer de mes réponses : que la terre ne doit pas être aliénable ; qu’en naissant chaque homme en doit trouver sa portion suffisante comme il en est de l’air et de l’eau ; qu’en mourant il doit en faire hériter, non ses plus proches dans la société, mais la société entière ; que ce n’a été que ce système d’aliénabilité qui a transmis tout aux uns et n’a plus laissé rien aux autres ; que c’est des conventions tacites par lesquelles les prix des travaux les plus utiles ont été réduits au taux le plus bas, tandis que les prix des occupations indifférentes ou même pernicieuses pour la société furent portés au centuple, qu’est résulté du côté de l’ouvrier inutile le moyen d’exproprier l’ouvrier utile et le plus laborieux ; qu’en ayant eu plus d’uniformité dans les prix de tous les travaux si l’on n’eût pas assigné à quelques-uns d’eux une valeur d’opinion, tous les ouvriers seraient aussi riches à peu près les uns que les autres ; qu’ainsi un nouveau partage ne ferait que remettre les choses à leur place ; que si la terre eût été déclarée inaliénable, système qui détruit entièrement l’objection des craintes du rétablissement de l’inégalité par les mutations, après le nouveau partage, chaque homme eût toujours été assuré de son patrimoine et nous n’aurions pas donné naissance à ces inquiétudes continuelles et toujours déchirantes sur le sort de nos enfants ; de là l’âge d’or et la félicité sociale au lieu de la dissolution de la société ; de là un état de quiétude sur tout l’avenir, une fortune durable perpétuellement à l’abri des caprices du sort, laquelle devrait être préférée même par les plus heureux de ce monde s’ils entendaient bien leurs vrais intérêts ; enfin, qu’il n’est pas vrai que la disparition des arts serait le résultat forcé de ce nouvel arrangement, puisqu’il est sensible au contraire que tout le monde ne pourrait pas être laboureur ; que chaque homme ne pourrait pas plus qu’aujourd’hui se procurer à lui seul toutes les machines qui nous sont devenues nécessaires ; que nous ne cesserions pas d’avoir besoin de faire entre nous un échange continuel de services et qu’à l’exception de ce que chaque individu aurait son patrimoine inaliénable, qui lui ferait dans tous les temps et toutes les circonstances un fonds, une ressource inattaquable contre les besoins, tout