Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/723

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les ouvriers des mines, encouragés par le mouvement révolutionnaire, élevaient leurs exigences et haussaient par exemple, dans la région du Hainaut et de l’Artois, leurs salaires de 0 fr. 95 à 1 fr. 55 par jour, à mesure que les prolétaires étaient plus confiants et plus hardis, les maîtres des mines se feuillantisaient.

Comme beaucoup d’acquéreurs de biens nationaux étaient, une fois nantis, atteints de modérantisme, les concessionnaires du sous-sol, d’abord si révolutionnaires contre la propriété foncière, devenaient des modérés. Les voici qui, effrayés par le Dix-Août, par le 2 septembre, par les projets de loi agraire qui, en donnant forme nouvelle à la question du sol, pourraient bien donner forme nouvelle à la question du sous-sol, entrent dans la résistance et se préparent même à émigrer. Demain, ils émigreront.

Robespierre songe-t-il à se demander tout haut s’il ne conviendrait pas d’organiser l’exploitation nationale de ces domaines miniers ? Il ne s’est même pas, semble-t-il, interrogé là-dessus. Et ses réserves contre la propriété ont toutes un caractère rétrospectif et presque archaïque. Elles menacent le monde ancien que la Révolution a aboli. Et pourtant, quelles que soient les précautions prises par lui pour ne pas effrayer, pour ne déchaîner ni la panique des chefs d’industrie, ni celle des propriétaires fonciers, quoiqu’il évite même d’abonder, par une attaque un peu insistante contre les accapareurs, dans la politique des Enragés, la formule qu’il donne du droit de propriété peut se prêter à de très audacieuses interprétations. Tandis que la Révolution posait d’abord le droit de propriété et ne faisait intervenir qu’ensuite les restrictions sociales dont ce droit devait être entouré, Robespierre ne se contente pas de rappeler, avec Mirabeau, que la propriété est une institution sociale. On dirait qu’il pose le droit social avant le droit individuel. La propriété, dans sa formule, n’est que ce qui reste de la propriété quand la société a exercé son droit antérieur et supérieur, quand elle a prélevé ce qui lui est nécessaire pour assurer la vie de tous, quand elle a enlevé à la propriété toutes les pointes par où elle pourrait blesser autrui. Dire que la propriété est la libre disposition de « la portion de bien garantie par la loi », c’est faire du droit de propriété un droit secondaire et dérivé qui ne se manifeste qu’après l’affirmation et l’exercice d’un autre droit. Ajouter que ce droit de propriété ne peut préjudicier « ni à la sûreté, ni à la liberté, ni à l’existence, ni à la propriété » des autres hommes, c’est, théoriquement, faire du droit de propriété une sorte de suspect contre lequel s’élèvent d’emblée toutes sortes d’hypothèses et de présomptions redoutables ; c’est ensuite fonder en droit les vastes expropriations que les modifications de la vie économique peuvent rendre nécessaires plus tard.

J’entends bien que Robespierre n’avait ni vu aussi loin, ni même regardé. Mais il savait que, politiquement, il avait besoin des prolétaires pour éliminer la Gironde dont l’inertie traîtresse perdait la Révolution. Il voyait